Il nâaime pas trop lâidée dâêtre présenté comme lâex-président du Système U, bien que le titre lui colle à la peau. Et pour cause: on ne fait pas une carrière entière – dont 13 ans en tant que PDG – dans un groupe connu de tous sans que cela ne marque un CV et les esprits.
Serge Papin a littéralement passé sa vie dans lâépicerie. Celle de ses parents, dâabord, en Vendée. Puis en tant que manutentionnaire dans un Intermarché. De là , il gravit quelques échelons, avant de racheter un Super U, en 1989. De Système U à Hyper U, en passant par Super U, il continue son bout de chemin, occupant divers postes dans le groupe, se plaçant souvent à lâavant-garde (Système U est le premier groupe de distribution à faire de la pub à la télé, à se positionner clairement sur le bio, etc). En 2005, il devient le président de la coopérative Système U â regroupant plus de 1600 magasins et 70 000 collaborateurs- poste quâil occupera jusquâà son départ à la retraite en 2018, ayant entre temps refusé la présidence de Carrefour France. Il a écrit plusieurs ouvrages, dont le Manifeste Osons demain, dans lequel il plaide pour la transition écologique des entreprises, Du panier à lâassiette (2018), et Consommer moins, consommer mieux (2009). Il conseille aujourdâhui des entreprises sur leur transformation.Â
Sophie Guignard : vous avez beaucoup plaidé pour une consommation plus responsable, plus qualitative et plus intentionnelle, tâchant de pousser cela au sein de Système U. Avez-vous le sentiment que les choses bougent enfin ?
Serge Papin : jâai lâimpression que lâon se dirige vers un reset général. Je ne suis pas certain de savoir dâoù il vient, ni comment il va se faire. Mais il est temps de remettre les pendules à lâheure.
S.G. : sentez-vous une vraie volonté de changer les choses autour de vous ?
S.P. : alors je crois que les quadras sâen moquent. Ils veulent tous leur maison, leur jardin, leur confort. Ils ont les enfants, les prêts à rembourser. Je crains que cela ne vienne pas dâeux. Les jeunes de 20-30 ans sont différents. Eux, sont plus libres, et plus portés sur la raison dâêtre. Après, il y a une mode depuis quelque temps, qui est de prendre soin de soi. Câest embêtant, même si, je dois avouer que je suis un peu dans cette dynamique en ce moment (rires).
S.G. : du côté des entreprises, une vraie transition écologique est-elle faisable à votre sens ?
S.P. : passer dâune situation actuelle vécue à une situation souhaitée est possible, mais cela coûte. La transition écologique va coûter cher, dans lâindustrie notamment où il y aura beaucoup de machines à changer, des gros investissements à faire. Mais on a bien trouvé des milliards pour résoudre la crise financière, alors, on peut espérer.
S.G. : sentez-vous une vraie envie de changer de la part des entreprises ?
S.P. : que ce soit par cynisme ou par conviction, les dirigeants dâentreprises voient bien aujourdâhui quâil faut aller chercher le bien commun. La question, est de savoir quelle lâampleur de cette remise en question… Quand Voyageurs du monde, dont jâapprécie beaucoup le fondateur, annonce quâils sont responsables car ils plantent des arbres pour compenser les émissions de CO2 de leurs voyages en avion, câest bien, mais en quoi cela résout-il le problème? On compense, mais on continue de faire ce quâon faisait. On reste dans la continuité, en voulant certes mieux faire que ce que lâon faisait hier, mais en continuant tout de même à le faire. La vraie question, câest de savoir si on est prêts à aller plus loin, à changer en profondeur. Il faut se demander quel est notre futur souhaitable, et faire en sorte dây accéder. Comme disait John Galliano, « on devient ce que lâon crée ».
S.G. : vous conseillez aujourdâhui des entreprises à lâaune de votre parcours et de votre expérience dans le groupe Système U. Quâespèrent-elles de vous ?
S.P. : jâai une réputation de retailer. Quand je suis au board des entreprises, en général, câest pour les aider à identifier les attentes des consommateurs. Jâai notamment travaillé avec des buralistes. Avec dâautres clients, nous travaillons sur le modèle de leadership quâils veulent construire pour demain.
S.G. : comment vous y prenez-vous ?
S.P. : jâessaie de les aider à aller puiser dans lâintelligence collective. Pas chez les sachants des grandes écoles, qui, au fond, proposent souvent un leadership à lâancienne, mais dans le bas de la hiérarchie, où il y a beaucoup d’intelligence collective. Le défi, étant de parvenir à la capter. Et là , câest souvent dans les temps informels quâelle se manifeste et émerge. Le problème aujourdâhui, câest que lâinformel se délite. Le télétravail, les mails, les infos push⦠tout ceci remplace les discussions informelles.
S.G. : parvient-on réellement à des avancées à partir de discussions informelles ?
S.P. : je pense à un exemple désormais classique: Pascal Demurger, à la MAIF. Câest un énarque. Il gérait la boite sans trop de surprise. Et puis, un jour, une collaboratrice lui a dit dâarrêter de penser avec sa tête et dâessayer de penser avec son coeur. Depuis cette remarque assez informelle, son management a évolué et changé. Il sâest tourné vers la bienveillance. Lâentreprise sâen est trouvée transformée, et lui aussi.
S.G. : Ã quelles conditions selon vous peut-on se transformer en tant quâorganisation ?
S.P. : dâabord, il faut que le patron exprime une vision, qui va sâaccompagner dâune nouvelle ambition. Ensuite, il faut se demander si cette ambition peut sâaccompagner de nouveaux objectifs, quâil faut alors formuler. Lâétape suivante, câest de se demander si une feuille de route est possible pour atteindre ces nouveaux objectifs. Si elle lâest, alors il faut établir un plan dâaction.
Se transformer est donc possible, oui. En réalité il faut garder en tête que lâobjectif, câest le chemin.
S.G. : que lisez-vous en ce moment ?
S.P. : Lâempreinte des Dieux, de Graham Hancock. Ce sont des scientifiques qui enquêtent sur le passé et réalisent que certaines connaissances existaient déjà en -10 000 avant J.C. sans que lâon sâexplique comment.
S.G. : un film dont vous ne vous lassez pas ?
S.P. : La Grande Bellezza, de Sorrentino. Jâadore le personnage. Câest mon modèle (rires).
Et Paterson, de Jim Jarmusch. Il y a une espèce de tension permanente, on pense quâil va y avoir un drame, et en fait non, il ne se passe rien!
Jâaime aussi Dans un jardin quâon dirait éternel, de Tatsushi Åmori.
S.G. : un talent que vous auriez aimé avoir ?
S.P. : savoir jouer de la guitare pour les filles. Ãtre une rock star, en fait.
source : www.influencia.net