“On devient ce que l’on crée”, Serge Papin, Ex-président du système U

2 mars 2022

Il n’aime pas trop l’idée d’être présenté comme l’ex-président du Système U, bien que le titre lui colle à la peau. Et pour cause: on ne fait pas une carrière entière – dont 13 ans en tant que PDG – dans un groupe connu de tous sans que cela ne marque un CV et les esprits.

Serge Papin a littéralement passé sa vie dans l’épicerie. Celle de ses parents, d’abord, en Vendée. Puis en tant que manutentionnaire dans un Intermarché. De là, il gravit quelques échelons, avant de racheter un Super U, en 1989. De Système U à Hyper U, en passant par Super U, il continue son bout de chemin, occupant divers postes dans le groupe, se plaçant souvent à l’avant-garde (Système U est le premier groupe de distribution à faire de la pub à la télé, à se positionner clairement sur le bio, etc). En 2005, il devient le président de la coopérative Système U – regroupant plus de 1600 magasins et 70 000 collaborateurs- poste qu’il occupera jusqu’à son départ à la retraite en 2018, ayant entre temps refusé la présidence de Carrefour France. Il a écrit plusieurs ouvrages, dont le Manifeste Osons demain, dans lequel il plaide pour la transition écologique des entreprises, Du panier à l’assiette (2018), et Consommer moins, consommer mieux (2009). Il conseille aujourd’hui des entreprises sur leur transformation. 

Sophie Guignard : vous avez beaucoup plaidé pour une consommation plus responsable, plus qualitative et plus intentionnelle, tâchant de pousser cela au sein de Système U. Avez-vous le sentiment que les choses bougent enfin ?

Serge Papin : j’ai l’impression que l’on se dirige vers un reset général. Je ne suis pas certain de savoir d’où il vient, ni comment il va se faire. Mais il est temps de remettre les pendules à l’heure.

S.G. : sentez-vous une vraie volonté de changer les choses autour de vous ?

S.P. : alors je crois que les quadras s’en moquent. Ils veulent tous leur maison, leur jardin, leur confort. Ils ont les enfants, les prêts à rembourser. Je crains que cela ne vienne pas d’eux. Les jeunes de 20-30 ans sont différents. Eux, sont plus libres, et plus portés sur la raison d’être. Après, il y a une mode depuis quelque temps, qui est de prendre soin de soi. C’est embêtant, même si, je dois avouer que je suis un peu dans cette dynamique en ce moment (rires).

S.G. : du côté des entreprises, une vraie transition écologique est-elle faisable à votre sens ?

S.P. : passer d’une situation actuelle vécue à une situation souhaitée est possible, mais cela coûte. La transition écologique va coûter cher, dans l’industrie notamment où il y aura beaucoup de machines à changer, des gros investissements à faire. Mais on a bien trouvé des milliards pour résoudre la crise financière, alors, on peut espérer.

S.G. : sentez-vous une vraie envie de changer de la part des entreprises ?

S.P. : que ce soit par cynisme ou par conviction, les dirigeants d’entreprises voient bien aujourd’hui qu’il faut aller chercher le bien commun. La question, est de savoir quelle l’ampleur de cette remise en question…  Quand Voyageurs du monde, dont j’apprécie beaucoup le fondateur, annonce qu’ils sont responsables car ils plantent des arbres pour compenser les émissions de CO2 de leurs voyages en avion, c’est bien, mais en quoi cela résout-il le problème? On compense, mais on continue de faire ce qu’on faisait. On reste dans la continuité, en voulant certes mieux faire que ce que l’on faisait hier, mais en continuant tout de même à le faire. La vraie question, c’est de savoir si on est prêts à aller plus loin, à changer en profondeur. Il faut se demander quel est notre futur souhaitable, et faire en sorte d’y accéder. Comme disait John Galliano, « on devient ce que l’on crée ».

S.G. : vous conseillez aujourd’hui des entreprises à l’aune de votre parcours et de votre expérience dans le groupe Système U. Qu’espèrent-elles de vous ?

S.P. : j’ai une réputation de retailer. Quand je suis au board des entreprises, en général, c’est pour les aider à identifier les attentes des consommateurs. J’ai notamment travaillé avec des buralistes. Avec d’autres clients, nous travaillons sur le modèle de leadership qu’ils veulent construire pour demain.

S.G. : comment vous y prenez-vous ?

S.P. : j’essaie de les aider à aller puiser dans l’intelligence collective. Pas chez les sachants des grandes écoles, qui, au fond, proposent souvent un leadership à l’ancienne, mais dans le bas de la hiérarchie, où il y a beaucoup d’intelligence collective. Le défi, étant de parvenir à la capter. Et là, c’est souvent dans les temps informels qu’elle se manifeste et émerge. Le problème aujourd’hui, c’est que l’informel se délite. Le télétravail, les mails, les infos push… tout ceci remplace les discussions informelles.

S.G. : parvient-on réellement à des avancées à partir de discussions informelles ?

S.P. : je pense à un exemple désormais classique: Pascal Demurger, à la MAIF. C’est un énarque. Il gérait la boite sans trop de surprise. Et puis, un jour, une collaboratrice lui a dit d’arrêter de penser avec sa tête et d’essayer de penser avec son coeur. Depuis cette remarque assez informelle, son management a évolué et changé. Il s’est tourné vers la bienveillance. L’entreprise s’en est trouvée transformée, et lui aussi.

S.G. : à quelles conditions selon vous peut-on se transformer en tant qu’organisation ?

S.P. : d’abord, il faut que le patron exprime une vision, qui va s’accompagner d’une nouvelle ambition. Ensuite, il faut se demander si cette ambition peut s’accompagner de nouveaux objectifs, qu’il faut alors formuler. L’étape suivante, c’est de se demander si une feuille de route est possible pour atteindre ces nouveaux objectifs. Si elle l’est, alors il faut établir un plan d’action.
Se transformer est donc possible, oui. En réalité il faut garder en tête que l’objectif, c’est le chemin.

S.G. : que lisez-vous en ce moment ?

S.P. : L’empreinte des Dieux, de Graham Hancock. Ce sont des scientifiques qui enquêtent sur le passé et réalisent que certaines connaissances existaient déjà en -10 000 avant J.C. sans que l’on s’explique comment.

S.G. : un film dont vous ne vous lassez pas ?

S.P. : La Grande Bellezza, de Sorrentino. J’adore le personnage. C’est mon modèle (rires).
Et Paterson, de Jim Jarmusch. Il y a une espèce de tension permanente, on pense qu’il va y avoir un drame, et en fait non, il ne se passe rien!
J’aime aussi Dans un jardin qu’on dirait éternel, de Tatsushi Ōmori.

S.G. : un talent que vous auriez aimé avoir ?

S.P. : savoir jouer de la guitare pour les filles. Être une rock star, en fait.





source : www.influencia.net

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