Guillaume Gille est né dans la Drome il y a 45 ans. Petit, il sâest passionné de handball. ll a continué, jusquâà devenir, plusieurs fois, champion dâEurope, champion du monde et champion Olympique. Puis il est passé de lâautre côté, devenant entraineur et sélectionneur. Au sein de son ancien club savoyard dâabord, puis au sein de lâEquipe de France, à un moment où celle-ci nâétait pas au sommet de sa gloire. Quelques mois plus tard pourtant, en aout 2021, lâéquipe de France de hand redevenait championne Olympique. Bref, Guillaume Gille a lâhabitude de gagner.
Sophie Guignard : Vous avez été à la fois joueur, entraineur et sélectionneur: pour vous, quâest-ce quâune bonne équipe ?
Guillaume Gille : Une bonne équipe, pour moi, est une équipe qui sait pourquoi elle existe. Câest un groupe dâindividus qui partagent une communauté de destins et de projets. Si une équipe nâa pas de projet, elle ne vaut pas plus quâun projet qui nâa pas dâéquipe.
S.G. : Yâa t-il eu dans votre carrière dâentraineur des joueurs qui nâarrivaient pas à sâinscrire dans cette dynamique dâéquipe ?
G.G. : Oui, il y a toujours des joueurs quâil faut parfois recadrer, à qui il faut rappeler quâils sont là pour servir un objectif plus grand quâeux. Tous les athlètes ont des motivations personnelles, câest normal. Mais ils doivent pouvoir sâinscrire dans le projet de lâéquipe.
S.G. : Comment faites-vous pour les « recadrer » et replacer le collectif au-dessus de lâindividualisme ?
G.G. : Il faut, justement, commencer par leurs motivations individuelles. Personnellement, je vais dâabord les faire parler dâeux, de leurs talents, de leur valeur. Autrement dit tout ce pour quoi nous les avons choisis. Il faut arriver à valoriser les joueurs individuellement, avant de leur rappeler que lâéquipe a besoin de leur talent spécifique. Chaque joueur a quelque chose dâunique, qui fait de lui une pièce maitresse du jeu collectif.
Lâautre chose quâon essaie de leur faire comprendre, câest que ce quâils vivront collectivement sera beaucoup plus fort que leur joie individuelle.
S.G. : La pression juste avant un match à enjeu doit être folle. Avez-vous une manière de la canaliser, ou la limiter ?
G.G. : Il faut comprendre que pour un joueur, chaque match est quasiment une histoire de vie ou de mort. A chaque fois quâon enfile notre maillot, câest comme si on rejouait tout. Plus rien nâexiste autour de nous, la seule chose qui compte est de savoir si nous sommes au rendez-vous. En tant que coach, dans ces moments, jâessaie aussi de rappeler aux joueurs que câest un privilège immense que de vivre ces moments-là .
S.G. : Câétait cela, votre moteur pour jouer à ce niveau: lâadrénaline, le privilège de vivre ces moments dâintensité extraordinaire ?
G.G. : A lâorigine, mon moteur était individuel. Je voulais voir jusquâoù je pouvais aller, repousser mes limites. Je ne baignais pas dans une culture du haut-niveau. Le hand me plaisait, mais je nâavais pas envie ou besoin de formuler des objectifs ambitieux pour continuer à me donner à fond. Et puis on parle dâun temps où le sport nâétait pas aussi professionnel que maintenant, câétait avant tout un plaisir. Maintenant que câest une carrière, et que cela demande tellement de sacrifices, les jeunes se fixent des objectifs ambitieux très tôt.
S.G. : Les joueurs que vous sélectionnez aujourdâhui ont-ils tous grandi avec le rêve de devenir champions de handball ?
G.G. : Non, pas tous. Aujourdâhui, dans lâéquipe, mes deux tours jumelles en défense sont tous deux des transfuges: lâun dâeux a fait du BMX jusquâà ses 15 ans et demi, lâautre a fait du tennis jusquâà 17 ans. Malgré cela, ils sont tous les deux en équipe de France de hand! Sâil nây avait quâune manière dâarriver au plus haut niveau, ça se saurait. La diversité des parcours et des histoires est souvent une richesse.
S.G. : La diversité des profils est-elle quelque chose que vous recherchez ?
G.G. : Plus que la diversité des profils, je recherche la diversité et la synergie des talents: je veux des talents variés, et des talents qui se connectent. Peu importe dâoù ils viennent. Câest certain quâavoir des joueurs qui ont vu dâautres choses, qui ont réfléchi à autre chose, et qui, de manière générale, sont équilibrés constitue un énorme avantage. Le hand demande beaucoup de maturité et dâintelligence. Tout ce qui peut favoriser cela est précieux.
S.G. : Quelle marge de manoeuvre laisses-vous à vos joueurs en terme de décisions ?
G.G. : En tant que coach, jâessaie de les responsabiliser. Bien sûr, câest le coach qui a la responsabilité finale du résultat, mais les athlètes doivent être capables dâassumer leur part. Câest la raison pour laquelle il me semble important de les laisser proposer des choses ou de les laisser contester des décisions quâils ne jugeraient pas bonnes.
Il y a des moments, dans la construction dâun match, où le coach doit donner une direction claire, où câest cela qui est attendu de lui. Et puis il y a des moments où il doit savoir écouter et mettre les joueurs à contribution dans lâélaboration de la stratégie.
S.G. : La technologie est de plus en plus utilisée dans les sports collectifs. Quel est son rôle dans votre processus de décision ?
G.G. : La technologie prend en effet une importance de plus en plus grande dans nos réflexions et décisions, même si nous en connaissons les limites et nâutilisons donc pas tous les outils quâelle propose. Mais nous avons par exemple beaucoup recours aux statistiques. Par exemple, on demande désormais aux joueurs dâévaluer leur ressenti physique après les matchs, puis les résultats viennent alimenter un algorithme qui permet de déterminer le bon dosage dâentrainement pour chacun dâentre eux.
Avec lâévolution du tracking vidéos, on arrive aussi à générer des sortes de fiches dâidentité des joueurs. En fonction de ces profils, on peut essayer dâoptimiser leur placement sur le terrain. Et puis ces données nous apprennent beaucoup sur les capacités et le fonctionnement de chaque joueur. Et pas seulement physiquement.
S.G. : Câest à dire ?
G.G. : Câest un peu comme si on disait : « montre-moi comment tu bouges et je te dirai qui tu es ». Notre façon de nous mouvoir en dit énormément sur nous. Nous avons profilé tous nos joueurs grâce à un outil développé par une boite en Suisse. Nous avons une fiche dâidentité de chacun dâeux. Cette fiche ne nous dit pas tout sur eux, évidemment, mais câest un complément dâinformations que nous utilisons beaucoup, qui vient sâajouter à ce que nous connaissons et observons de lâévolution des joueurs.
source : www.influencia.net