La révolte gronde à Cuba, dans les artères de ses villes comme sur internet. Mais 62 ans après le coup dâétat victorieux mené par le mouvement du 26 juillet, « lâesprit révolutionnaire » dont se défendait Fidel Castro est maintenant vampirisé par le pouvoir en place. Face au défi lancé par Archipiélago, un groupe de réflexion politique dissident, dâorchestrer une grande marche le 15 novembre prochain dans sept provinces du pays, le successeur de Raoul Castro à la tête de lâétat insulaire, Miguel Diaz-Canel, a déclaré : « Il y a suffisamment de révolutionnaires à Cuba pour faire face à tout type de manifestation qui cherche à détruire la révolution, dans le respect et la défense de la constitution, mais aussi avec énergie et courage ». Le gouvernement espère ainsi mater une vague de protestations qui grandit depuis les manifestations qui sâétaient tenues les 11 et 12 juillet dernier dans une cinquantaine de villes du pays. Elles avaient engendré la mort dâune personne, fait des dizaines de blessés et causé lâarrestation de plus de 1000 personnes, dont 560 dâentre elles sont toujours incarcérés. Il faut dire que Cuba traverse une profonde crise économique et de graves pénuries de nourriture et de médicaments, exacerbée par une baisse du tourisme due au covid-19 et au renforcement des sanctions imposées par Donald Trump pendant son mandat, que Joe Biden a maintenu.
Si cette ingérence constitutionnelle du gouvernement nâest â malheureusement â pas chose nouvelle, ce dernier sâest illustré à la mi-août en sâimmisçant de manière liberticide dans la sphère numérique. Le régime Cubain a ainsi criminalisé, par le biais du Décret 35, ce quâil appelle la « subversion sociale », à savoir la diffusion de fausses nouvelles sur internet, ainsi que le cyber-terrorisme, dans sa première loi sur la cyber-sécurité. Ce nouveau cadre juridique du domaine des télécommunications établi pas moins de 17 incidents de cyber-sécurité répréhensibles, tant pour les personnes physiques que morales. Ces délits sont passibles dâune peine de prison ferme et dâune amende de 3000$. Un acte politique très décrié sur les réseaux sociaux où se sont multipliés les appels au « droit à la dissidence ». José Miguel Vivanco, le directeur de Human Rights Watch pour les Amériques, a par exemple déclaré sur Tweeter que le « régime cubain restreint encore davantage le web en édictant des règles qui permettent dâinterrompre internet lorsque sont publiées des informations que le gouvernement considère comme âfaussesâ ». Avant de déclarer que Cuba traite « comme des cas de cyber-sécurité la diffusion de nouvelles qui portent atteinte au âprestige du paysâ ».
Los memeros viendo como la CIA se pasa con ficha : pic.twitter.com/206QBHZ2eS
— ð· ðº ð¸ ð´ â´Kð¨ðº (@Ru4kSo) October 25, 2021
Un nouveau terrain dâexpression pour la parole politique
Du point de vue des pros gouvernement, cette décision sâexplique aisément par le fait que lâinternet mobile, arrivé à Cuba en 2018, a changé en profondeur le rapport de force entre le pouvoir communiste et lâopposition. Les opposants se sont rapidement adaptés aux nouveaux outils à leur disposition, les mèmes devenant pas la force des choses des armes dâexpression démocratique. à lâintroduction du Décret 35, peu des memeros â créateur de mèmes dans la langue du Che Guevara â se sont tus, la majorité a plutôt choisi dâaccélérer leur rythme de production. @daikeldfc92, lâun des plus connus dâentre eux, expliquait au magazine Rest of World que lâhumour, le sarcasme, aident les cubains à naviguer au travers de toutes ces crises â sociales, politiques, économiques⦠â actuelles. @Ru4kSo, lâun de ses illustres compères, avouait que le sarcasme était devenu une part essentielle de la culture mème du pays, notamment à cause de la familiarité quâon les cubains avec les messages codés après 60 années de Castroisme : « Parce que les autorités limitent énormément notre liberté dâexpression, quand il sâagit de critiquer ou de se plaindre dâune situation, il est parfois plus facile de publier un post ironique que de formuler son propos de but en blanc ».
— DFC (@daikeldfc92) October 4, 2021
Le meilleur mécanisme de défense
Mais @daikeldfc92 avoue également que si lâironie lâa aidé à se connecter davantage à son audience, cela coïncide aussi avec une surveillance grandissante des réseaux sociaux opérée par le gouvernement. Et dieu sait que si les autorités souhaitent trouver quelque chose, ils y réussiront. Pour@Ru4kSo : « Il est très difficile dâéchapper à une loi qui encadre la critique. Tout le monde, ou presque, viole le Décret 35 dâune manière ou dâune autre. Certains dâentre nous en ont peur, ce qui est compréhensible. Nous avons vu certains de nos amis être embarqués pour des interrogatoires. Les autres nâont pas cette crainte et choisissent de dâexprimer leur mécontentement par lâhumour ». Pour lui, les followers jouent un rôle déterminant dans leur protection contre le Décret 35. Lors qu’ils diffusent ses memes à leurs amis, ils partagent avec lui le risque dâarrestation. Une sorte de bulle protectrice pour les auteurs.
« Si quelquâun publie un meme sur un réseau social et plusieurs centaines de personnes le partage, cela prendrait trop de temps pour les autorités de comprendre qui lâa créé ou de recenser toutes les personnes qui lâont fait circuler », expliquait Peña Barrios. Pourtant, si les memeros ont moins de chance dâêtre arrêtés, dâautres moyens coercitifs sont déployés pour leur nuire. @mjorgec1994, un autre créateur de contenu reconnu, a reçu dâinquiétants messages de la part de comptes anonymes quâil suspecte être contrôlés par les services secrets. De quoi effrayer les derniers memeros encore debout ? à observer dans les prochaines années, tout comme les armes législatives utilisées à leur encontre par les autorités cubaines, qui risquent dâêtre de moins en moins constitutionnelles.
Alguien dice lo que piensa
El noticiero : pic.twitter.com/PmJY0hJq3m
— ð· ðº ð¸ ð´ â´Kð¨ðº (@Ru4kSo) October 26, 2021
source : www.influencia.net