INfluencia : comment le métavers va-t-il bouleverser les rapports de force du Web actuel ?
Jean-Christophe Liaubet : il nây aura pas un métavers, mais une multitude, avec des modalités dâaccès variées et des cas dâusage très riches, allant du BtoC au BtoB â et pas seulement pour se divertir ou socialiser. Toutes les industries sont concernées. Trois secteurs sont déjà particulièrement actifs sur le sujet : le luxe, la grande consommation et lâindustrie, mais plutôt avec une vision « jumeau numérique ». Les différents acteurs qui ont pris la parole sur le sujet ont dâailleurs des approches très différentes. Facebook/Meta a une vision centralisée, centrée sur la réalité virtuelle. Roblox propose aux marques dâintégrer son métavers (comme Nike, qui y a lancé récemment Nike Land) et de bénéficier de sa large audience (47 millions dâutilisateurs quotidiens). Nvidia est dans une proposition davantage BtoB, baptisée Omniverse, autour dâune plateforme ouverte et extensible conçue pour la collaboration virtuelle de différents acteurs (designers, ingénieurs, chercheurs, éditeurs de logiciels, entreprises de tout secteur) pour le développement de nouvelles solutions (avatars augmentés par lâIA par exemple) et les simulations en temps réel. Niantic (lâéditeur de Pokémon Go) et Snap croient en la réalité augmentée plutôt que virtuelle, avec des ponts entre monde physique et sphères virtuelles. Mais la porte dâentrée du métavers reste lâécran : même si les casques progressent, lâordinateur et le mobile sont les outils qui ont la plus forte pénétration. En attendant peut-être les lunettes connectées.
IN : en parallèle du métavers se développe la vision dâun Web3 décentralisé et communautaire. Quâen pensez-vous ?
JCL : nous sommes convaincus quâune révolution très puissante arrive, celle du Web3. Câest une nouvelle ère de lâInternet. Le Web3 va ajouter au Web tel quâon le connaît la couche « blockchain », ce qui va permettre de créer de nouveaux modèles économiques. Sa promesse est dâoffrir des modèles décentralisés dans lesquels les communautés retrouvent un pouvoir. Le Web 1.0 était un Internet à sens unique (consultation dâinformations) et reposait sur lâordinateur. Le Web 2.0 avait inauguré lâéchange dâinformations (réactions, partages de contenus), du social et la connexion entre les individus, avec la généralisation du téléphone mobile, des réseaux sociaux et des technologies cloud. Il repose sur de grandes et puissantes plateformes (dont les Gafam et BATX) centralisant les données, la valeur et le pouvoir qui y sont associés. Le Web 3.0 instaure, lui, un changement de paradigme : câest lâère de la décentralisation et de la reprise en main par les communautés et les créateurs de la valeur quâils génèrent. Il sâagit dâune triple révolution : culturelle avec le développement dâune idéologie (celle dâInternet à ses débuts), technologique (avec le développement à lâéchelle des technologies blockchain) et économique avec lâémergence de nouveaux modèles offrant plus de transparence et un partage plus équitable de la valeur (grâce aux cryptomonnaies notamment). Notre conviction est que cette révolution va se passer avec une ampleur et une vitesse inégalées qui risquent de surprendre, car elle va sâopérer sur une infrastructure qui existe déjà et compte plus de 4,5 milliards dâutilisateurs !
IN : ce modèle décentralisé est pourtant aux antipodes de celui des Gafam. Peut-il vraiment sâimposer ?
JCL : oui, car les Gafam ont mis en place des standards élevés en termes dâexpérience client, mais sans miser suffisamment sur lâéthique et la confiance de leurs utilisateurs. Câest leur talon dâAchille. Car pour réussir dans le Web3, il faut une communauté forte, certes, mais aussi une interopérabilité, de la responsabilité et un modèle bien aligné avec les intérêts des différentes parties prenantes. Facebook/Meta, par exemple, a très bien réussi sur la partie expérience, mais ses tentatives pour développer une économie associée â avec la monnaie Libra/Diem notamment â ont été des échecs. Jây vois une opportunité pour lâEurope : nous pouvons retrouver de la compétitivité parce que le continent est plutôt bien positionné sur les sujets blockchain, environnement, éthiqueâ¦
IN : Et pour les marques ?
JCL : les cartes vont être rebattues. On voit des maisons de luxe qui réfléchissent à ce quâelles peuvent proposer en termes dâexpérience immersive à leurs clients ou aux nouveaux modèles autour des NFT (non-fungible tokens, jetons non fongibles en français) et autres tokens (actifs numériques). Ce quâon a devant nous en matière dâinnovation est plus puissant que tout ce que nous avons vu ces dernières décennies.
source : www.influencia.net