LâImpératrice cartonne depuis quelques années. Après un développement éclair sur le marché étasunien, le groupe dâélectro pop sâest retrouvé propulsé il y a deux ans sur le line up de lâiconique festival Californien Coachella. Un véritable accomplissement pour une formation française, signée, qui plus est, en indépendant. Loin de se laisser griser, ses six membres sont retournés en studio pour nous livrer il y a tout juste un an Tako Tsubo, leur second album.
Un projet salué par les critiques qui les a conduit jusquâà une nomination surprise à la dernière édition des Victoires de la Musique, dans la catégorie Révélations. De quoi fêter ça sur les planches du Zénith le 28 mars dernier et par la même occasion fouler la plus grosse scène parisienne de leur carrière. Success is sweet.
Pour en apprendre plus sur les stratégies mises en place pour faire grandir le groupe et conquérir le marché US, mais également sur les évolutions structurelles rencontrées par lâécosystème musical indépendant ces dernières années, nous avons eu la chance de converser avec Pascal Bittard, président et fondateur dâIdol, et Antoine Bigot, fondateur et directeur artistique de Microqlima, respectivement distributeur et label du groupe. Nous avons publié hier notre entretien avec Pascal Bittard, découvrez à présent celui dâAntoine Bisou, tête pensante de lâun des labels les singuliers de notre industrie.
INfluencia : comment avez vous mis en place cette fameuse stratégie de conquête des Ãtats Unis pour LâImpératrice dont Pascal Bittard nous parlait hier ?
Antoine Bisou : quand Pascal (Bittard) en parle, il ne veut pas dire que nous nous sommes rassemblé autour dâune table pour concocter un plan machiavélique (rire). Notre point de départ a été de nous rendre compte que le groupe suscitait un certain engouement à lâétranger, ce qui est plutôt rare pour une formation française, et cela nous a aidé à prendre confiance pour investir ce champ là . Mais il fallait au préalable en comprendre les raisons. à la sortie de leur premier album en 2018, Matahari, nous avons traduit toutes les chansons en anglais pour toucher le public anglophone. Nous pensions que cela aiderait le groupe à mieux passer en radio et en playlist, mais en réalité câest tout lâinverse qui sâest produit. Les versions qui ont le plus marché à lâétranger étaient les versions françaises et câest à ce moment là que nous avons compris que LâImpératrice véhiculait un certain exotisme à la française. Sur le deuxième album, nous avons beaucoup tâtonné. Nous avons dâabord imaginé de signer, avec lâaccord de Pascal au préalable, sur un label US. Mais le Covid, et le manque de perspectives à lâexport quâil induisait, nous a incité à faire marche arrière. Résultat, nous sommes resté chez Idol et nous en sommes très satisfait. Cela nous a donné le temps nécessaire pour comprendre que la musique de LâImpératrice nâest pas faite pour être bastonnée par une essoreuse américaine. Nous préférons finalement construire leur succès de manière organique, lentement mais surement, en engageant nous même des attachés de presse dans chaque pays ciblé. Aujourdâhui, nous coordonnons tout depuis la France en conjuguant un marketing digital assez intelligent et le playlisting sur les plateformes permis par Idol. La tournée qui reprend depuis peu va également nous faire beaucoup de bien. Mais le plus important pour nous est que cette conquête passe dâabord par la musique. Pour ce faire, nous essayons de signer des partenariats avec des producteurs étrangers, surtout américains, et ainsi trouver la collaboration adéquate au niveau du son. Si nous y arrivons et quâun morceau de LâImpératrice se met à cartonner en radio, nous serions alors en position de force pour discuter avec les labels.
IN : au vu de ce que vous nous expliquez, pouvons-nous supposer que ce deuxième album a été spécialement calibré pour le public américain ?
A.B : ce nâest pas si bête de le supposer car quand les membres du groupe ont commencé à le composer, ils avaient clairement le marché américain en tête. Cette volonté est nait de la frustration de se heurter à un certain plafond de verre en France pour ce type de musique. Certes, nous avons réussi à remplir le Zénith de Paris il y a peu, mais on ne pourra jamais lutter contre des artistes mainstream, tels que Vianney ou Eddy de Pretto, dont les producteurs investissent beaucoup dâargent dans des productions calibrées pour la France, mais qui sortent très peu de nos frontières. Notre marché se situe ailleurs. La force de LâImpératrice est que 75% de leurs streams sont générés hors de notre territoire. On a donc préféré capitaliser là -dessus et créer un son que les Français nâont pas. Ce deuxième album a grandement été influencé par des artistes américains, et surtout californiens, à lâimage dâun Tyler the Creator ou dâun Anderson .Paak. On a même fait mixer et masteriser le projet par un ingénieur du son américain très reconnu. Cela nous paraissait être le moyen adéquat pour contourner ce fameux plafond de verre.
IN : comment avez vous réussi à faire vivre ce second album en plein Covid ? à quel point lâinterdiction de se produire en concert vous a-t-elle impacté ?
A.B : cela sâest fait en plusieurs temps. Au moment de la pandémie, nous avons choisi de décaler la sortie de lâalbum. Cela nous a permis, notamment, de le reproduire, et dâen améliorer certains aspects, donc on ne va pas sâen plaindre. Câest à peu près à ce moment là que Coachella a pris la décision dâannuler son édition 2020 â puis celle de 2021 un an plus tard â. Le groupe a tout de suite compris que, dans ce contexte, les artistes qui ne sont pas actifs et capables de raconter une histoire pour ramener leur public dans leur univers nâavaient aucune chance de marcher. On sâest donc grandement investis, dans un premier temps, sur la vidéo. Les membres sont presque devenus des Youtubeurs, ce qui a pu les amuser mais surtout les exténuer, car poster et faire vivre des vidéos sur Internet prend beaucoup de temps et dâénergie. Câétait aussi très stressant pour moi de reposer toute notre stratégie là -dessus, sans pouvoir compter sur notre jambe gauche qui est bien évidemment la tournée. Suite à ça, alors que tous les artistes faisaient leurs petites reprises dans leur coin, on a réalisé que cela ne rendait pas justice à la musique, encore plus pour LâImpératrice qui a toujours beaucoup bossé ses lives. En bref, on en avait marre des captations de 3mn balancées sans grande réflexion sur Instagram. Donc on a choisit de recréer virtuellement la tournée que nous avions prévu de faire. On a tourné un concert que lâon a ensuite adapté à chaque pays dans lesquels nous devions nous produire, avec des horaires dâouverture virtuelle calibrés sur les horaires locaux, une vente de ticket virtuelle, des premières parties, etc. Nous voulions vraiment pouvoir dire : « Ce soir nous sommes à Mexico et pas ailleurs ». Comme on sây attendait, cela nâa pas forcement été concluant financièrement mais beaucoup plus en terme de retombées médiatiques.
IN : par la nomination récente du groupe aux Victoires de la Musique, sentez vous une ouverture des institutions aux artistes indépendants ? Une ouverture loin dâêtre désintéressée pour continuer à toucher un public jeune.
A.B : nous ne sommes par les premiers artistes indépendants à être salués aux Victoires, mais il vrai que câest très rare. Pour expliquer le fonctionnement des Victoires de la Musique, il sâagit dâun vote de toute la profession. Je vois donc cette ouverture avant tout comme un plébiscite pour arriver à une plus grande variété dâartistes présentés, et nous en sommes très fiers. à titre personnel, je regrette juste quâils aient enlevé les catégorie spectacle et disques et choisi plutôt de les genrer.
IN : à la fin du concert au Zénith, le groupe vous a personnellement salué pour tout ce que vous avez fait pour eux. Avez vous ressenti une forme dâépanouissement personnel ou étiez vous déjà tourné vers la suite ?
A.B : complètement. Mais ce qui est drôle câest qu’au début de notre collaboration, je les ai vus pendant longtemps se coltiner des salles de deux cent personnes tout au plus, et jâétais comme un fou, entre le stress et lâémotion. Alors que là , pendant le concert du Zénith, jâétais juste super confiant en eux et en nous et ça mâa permis de lâapprécier beaucoup plus comme un spectateur⦠et câest trop bien (rire). Ãa mâa aussi permis de me retourner deux secondes sur tout le chemin parcouru au cours de ces dix dernières années.
IN : à présent, jâaimerais vous poser quelques questions relatives à votre collaboration avec Idol. Pascal Bittard nous révélait hier : « Ce dont je suis le plus fier câest dâavoir grandi au contact de certains labels comme Microqlima quâon a accompagné et quâon a aidé à structurer ». Comment, de votre point de vue, sâest opérée cette maturation ?
A.B : on leur doit beaucoup, vraiment. En 2016, quand jâai commencé à vouloir créer ma propre structure, jâai fait le tour dâune multitude de labels et de distributeurs différents en leur proposant plusieurs deals possibles : contrat de licence, de rachat etc. Au moment de rencontrer Idol, jây allais un peu en reculant car jâavais des doutes sur la capacité de cette structure, relativement petite, à faire face aux mastodontes de lâindustrie. Mais jây ai trouvé des gens qui souhaitaient avant tout bosser sur un pied dâégalité avec moi, là où jâavais parfois pu sentir du mépris à mon encontre chez leurs concurrents, avec Idol, il n’y a jamais eu de refroidissement face aux obstacles, ce qui mâa séduit. Ils mâont tout de suite encouragé à recruter des employés, à acquérir des locaux, à apprendre telle ou telle chose sur le marketing pour finalement me faire prendre confiance en mes capacités. Câest extrêmement sécurisant de savoir que quelquâun, ou quâune structure, assure tes arrières. Cela me permet de prendre des risques, mais aussi de rester indépendant, ce qui est un vrai luxe.
IN : Pascal nous expliquait que son expertise sur la distribution en physique vous a beaucoup apporté au début de votre collaboration. Cette dimension est-elle aussi importante que par le passé ?
A.B : finalement elle nâétait pas si essentielle à lâépoque non plus. En allant les chercher, jâétais avant tout conscient de la nécessité de playlister mes artistes sur le digital. De jour en jour, le physique diminue. Mais malgré tout, sur un projet comme celui de Lâimpératrice qui se veut grand public, on est obligé de passer par là . Donc câest difficile à dire. Aujourdâhui, ce qui prend le plus de place est le B to C, à savoir les boutiques en ligne pour le merch, le direct to consumer, que des éléments dont Idol ne sâoccupe pas.
IN : non pas que câest ce que lâon vous souhaite, mais que manque-t-il aujourdâhui à une structure comme Microqlima pour se priver dâun distributeur ?
A.B : le vrai avantage dâIdol, et qui nous sert, est quâils sont prêt de 60. Câest un avantage de nous allier avec quelquâun de plus gros que nous, qui sera plus écouté par lâindustrie et qui obtient plus souvent des services préférentiels que je ne pourrais jamais allé chercher avec mon seul catalogue. Mais surtout, il faut choisir ce quâon veut dans la vie. Personnellement, la distribution ne mâintéresse pas. Câest la DA qui me passionne. Cela vaut également pour les artistes qui choisissent de se priver dâun distributeur en pensant que leurs marges seront plus importantes alors que pas du tout. Lâunion fait la force.
source : www.influencia.net