Après avoir fait une école de commerce, Grégory Pouy a commencé sa carrière en marketing, démarré un blog, dirigé une agence spécialisée en social media et marketing digital, est parti travailler à New York. De retour à Paris, en 2016, il a démarré un podcast (Vlan !) traitant toujours du marketing numérique. Puis, au fil du temps, il sâest peu à peu autorisé à sâaventurer ailleurs, ouvrant son champ de réflexion à des préoccupations plus fondamentales, faisant évoluer le contenu de son podcast et de ses interventions avec lui. Avec en filigrane le besoin de comprendre la société dans laquelle nous vivons et de faire circuler des idées susceptibles dâen accélérer la transformation vertueuse par tous les moyens à sa disposition.
Sophie Guignard : Depuis que vous avez créé votre podcast Vlan ! en 2016 (qui cumule rien moins que 8 millions dâécoutes), vous vous présentez et définissez comme âanalyste culturelâ. Mais quâest ce quâun analyste culturel ?
Grégory Pouy : Câest lâun des invités de mon podcast qui mâa donné cette idée, de manière un peu fortuite. Si jâavais le diplôme adéquat, je me dirais sociologue, mais je ne lâai pas alors jâai opté pour cette description (rires). Ce à quoi je me consacre aujourdâhui consiste à essayer de comprendre comment la société évolue. Câest ce que je fais à travers mon podcast, dans lequel jâinvite des philosophes, des sociologues, des entrepreneurs, des penseurs, des auteurs, etc. Câest ce que je fais aussi à travers des conférences et des missions dâaccompagnement auprès dâentreprises désireuses de faire évoluer leur organisation et leur stratégie.
Sophie Guignard : Vous avez également publié un livre intitulé âInsoutenable Paradisâ (éditions Dunod, 2020), qui propose des pistes pour vivre, consommer et produire de manière plus soutenable, sans pour autant renoncer à tout. Dâoù vient cette idée ?
G.P. : Ce livre vient dâun besoin que jâavais de me réconcilier avec mes propres contradictions, puisque je vois bien que ma façon de vivre pose désormais problème à la planète, mais que je ne suis pour autant pas prêt à renoncer au confort et aux opportunités quâelle mâoffre. Et puis jâavais envie de partager les réflexions de certains de mes invités sur Vlan !, qui mâont ouvert des perspectives extrêmement intéressantes .
âPersonne ne veut décroitre. Lâidée est donc dâarriver à ce que les entreprises mesurent la croissance autrement.â
Sophie Guignard : Dans ce livre, vous évoquez ce que nous pouvons faire à titre individuel pour limiter notre impact sur lâenvironnement. Vous parlez également du rôle de la politique. Mais selon vous, ce sont les entreprises qui sont aujourdâhui les plus à même de faire la différence. Pourquoi ?
G.P. : Les entreprises disposent de trois atouts majeurs pour faire bouger les choses : dâabord, de par leur taille et leur rôle, elles ont du pouvoir. Ensuite elles ont de lâargent. Enfin, elles ont de lâinfluence, car elles savent raconter des histoires. Ces trois caractéristiques leur donnent de fait un impact significatif. Dès quâelles initient un changement, cela se sent et se voit.
Sophie Guignard : Concrètement, comment les entreprises peuvent-elles agir et se transformer afin de devenir plus responsables ?
G.P. : Je vois quatre grandes orientations possibles :
La première consiste à revoir son offre produit. Cela suppose de continuer à produire les mêmes choses, mais avec un impact moindre. Câest déjà bien mais cela ne remet pas en question le modèle de croissance de lâentreprise. Le risque est aussi de faire du greenwashing, en mettant un coup de peinture verte sur lâoffre sans la repenser. Cela revient à dire âcontinuez de consommer comme avant, on sâoccupe des conséquencesâ. Zara, par exemple, a annoncé des mesures pour utiliser des tissus durables et limiter drastiquement les rejets de produits chimiques dans lâenvironnement. Mais Inditex ne remet pas pour autant en question le concept de fast fashion.
La deuxième voie consiste à remplacer des produits existants par des produits plus responsables, quitte à rogner sur ses marges. Avec cette approche, lâentreprise tente également dâamener les consommateurs vers de nouveaux produits, probablement plus chers, mais plus vertueux. Câest ce que fait par exemple Fleury Michon, qui cherche désormais à proposer des jambons de meilleure qualité, se montrant pour cela prêt à en proposer moins.
La troisième voie possible tient à voir avec le design. En créant des produits éco-désignés, câest à dire conçus pour limiter leurs externalités négatives, on peut faire une vraie différence. Par exemple en concevant une imprimante qui par défaut imprime en recto-verso et noir et blanc. Apple fait en revanche lâinverse de cela lorsquâelle privilégie le design de ses iphones plutôt que leur responsabilité: afin de proposer des téléphones plus fins, la batterie doit être collée, ce qui oblige à remplacer le téléphone au moins problème survenu. Mais il y a heureusement plein dâinitiatives vertueuses mises en place par des entreprises qui imaginent des produits visant aussi bien à éduquer lâutilisateur (une douche équipée dâun compteur dâeau pour pouvoir visualiser lâimpact de chaque douche), quâà lâaider à réduire lâimpact collatéral de lâutilisation dâun produit (en proposant une bouilloire isotherme qui consomme moins dâénergie par exemple).
Sophie Guignard : Et la quatrième voie ?
G.P. : La quatrième voie est la plus ambitieuse et la plus difficile à mettre en oeuvre, car elle participe dâune approche holistique. Elle consiste pour les entreprises à changer de discours, à proposer une autre histoire à leurs consommateurs. Elle suppose de repenser sa définition de la croissance, pour ne plus systématiquement assimiler la décroissance des ventes comme un échec, mais comme une évolution potentielle. Aucune entreprise ne veut décroitre. Lâidée ici est donc dâarriver à ce que les entreprises envisagent et mesurent la croissance autrement. A la MACIF, par exemple, Pascal Demurger évalue la performance de son organisation à lâaune de 4 critères: la performance financière, la satisfaction des clients, la satisfaction des employés, et lâimpact environnemental.
âIl faut changer lâhistoire quâon raconte. Les entreprises doivent proposer de nouveaux récitsâ
Sophie Guignard : Pourquoi ce changement est-il si difficile à mettre en oeuvre ?
G.P. : Dejà parce quâil va à lâencontre de tout ce que nous avons appris et ce que les entreprises nous ont dit pendant des dizaines dâannées. En substance, nous avons grandi en pensant que posséder des choses allait nous rendre plus heureux. Alors quâévidemment, ce nâest pas vrai! Il faut changer lâhistoire quâon raconte. Les entreprises doivent proposer de nouveaux récits, cesser de véhiculer lâidée que lâaccumulation de biens mène au bonheur. Et ça, pour elles, câest évidemment très compliqué, car cela met en péril leur modèle économique actuel. Câest une démarche qui va demander du temps et du courage.
Sophie Guignard : Ãa lâest tout autant pour les consommateurs que nous sommes, non ?
G.P. : Bien sûr, nous devons tous revoir nos valeurs, comprendre quâelles sont devenues obsolètes et dangereuses. Mais les entreprises ont une grande responsabilité là -dedans, car elles alimentaient ce discours. Pour autant, aujourdâhui, je trouve que pour un dirigeant, câest une belle mission que celle de contribuer à changer notre mentalité, et dâaccompagner notre entrée collective dans une nouvelle époque.
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source : www.influencia.net