Anne Fulda: «Le vieil adage « on loue, on lâche, on lynche » est plus…

7 novembre 2020

 

Dans « Mes très chers monstres », Anne Fulda, journaliste au Figaro depuis 30 ans met en lumière les stratégies de personnalités hors du commun qui ont dû s’affranchir de filiations pesantes, d’histoires familiales compliquées ou de conventions sociales contraignantes… Celle qui a précédemment écrit, Emmanuel Macron, un jeune homme si parfait, vendu à plus de 100 000 exemplaires, livre à INfluencia, sa vision sur cette époque plus maléfique que magnifique.



INfluencia : drôle de moment pour publier un livre… comment vivez-vous cette « naissance », contrecarrée par la covid…

 

Anne Fulda : j’aurais bien évidemment préféré que mon livre paraisse dans un autre contexte ! Là, c’est sûr, les éléments ne sont guère favorables : pour moi, comme pour tous les auteurs dont le livre vient de sortir. La promotion est plus difficile, les signatures qui étaient prévues dans plusieurs librairies ont été annulées, un salon des écrivains auquel je devais assister à la Baule aussi. Les médias sont par ailleurs focalisés sur la crise sanitaire, les attaques terroristes, les élections américaines… On a connu de meilleures conditions ! Mais il ne faut pas désespérer. Je compte sur l’ingéniosité et la réactivité des libraires et sur l’appétit des lecteurs qui peuvent, à travers les livres, ouvrir des fenêtres sur le monde, même en restant entre quatre murs.

 

 

IN. : vous aviez bluffé votre monde,  avec votre ouvrage, » Emmanuel Macron, un jeune homme si parfait ». Quelle avait été alors votre motivation?

 

A.F. : ce livre, « Emmanuel Macron, un jeune homme si parfait » a, effectivement très bien marché. Les ventes ont atteint 100 000 exemplaires et il a été traduit dans onze pays ! Le sujet était évidemment intéressant mais je dois dire que j’ai eu aussi, un peu comme Macron, de la chance car ce livre est sorti un mois avant la présidentielle de 2017 et tandis que Macron était encore un parfait inconnu pour beaucoup de Français.

 

 

IN. :  diriez-vous que vous avez eu du nez…

 

A.F. : ce qui est amusant c’est que mon éditeur de l’époque, Plon, m’avait initialement demandé d’écrire un livre sur François Fillon qui était alors en tête dans les sondages et semblait devoir être le prochain président de la République. J’avais fait la moue et lui avais proposé de le consacrer plutôt à Emmanuel Macron qui n’était alors que ministre de l’Economie et pas encore candidat. A dire vrai, je ne pensais pas qu’il allait être élu mais une petite voix au fond de moi me susurrait « qui sait ? » J’avais probablement en tête la victoire surprise de Jacques Chirac en 1995, élu alors que tout le monde misait sur celle d’Edouard Balladur. Et puis je trouvais sa personnalité intéressante, son intelligence et son habileté étonnantes et son histoire avec sa femme Brigitte terriblement romanesque. « On parlera de lui, c’est sûr, il va compter » ai-je dit à mon éditeur qui a finalement accepté et ne l’a pas regretté !

 

 

IN. : cette fois vous choisissez de faire 50 portraits de monstres sacrés? Quel lien faites-vous entre eux?

 

A.F. : ces portraits sont ceux de personnalités extraordinaires au sens littéral du terme. Ces hommes et ces femmes, issus de tous les domaines, forment à mes yeux une forme de fraternité de l’excellence. Ils ont tous quelque chose de plus grand, de plus fort, une forme de ténacité, parfois de narcissisme qui explique qu’ils ont percé chacun dans leur spécialité. En politique, au cinéma, dans la chanson, les affaires, en cuisine, dans les médias. De Delon à Chirac, de Bruel à Drucker, de BHL à Bardot en passant par Louboutin, Pigasse, Bernard Arnault, Ruquier, Guy Savoy ou Hugo Desnoyers, ils ont tous une force vitale ou une histoire personnelle, des blessures de l’enfance qui les ont propulsés « en haut de l’affiche ».

 

 

IN. : est-ce le premier confinement qui vous a inspirée, comme d’autres auteurs ou créateurs et permis d’écrire cet ouvrage?

 

A.F. : à dire vrai, pas vraiment ! A côté de mon travail de journaliste au Figaro que j’ai continué à exercer, j’ai consacré le plus clair de mon temps à faire le ménage lors du premier confinement. Ce n’est pas très glamour mais c’est ainsi. L’inspiration est revenue après.

 

IN. : quels sont parmi les monstres que vous avez choisis ceux que vous préférez?

 

J’ai une tendresse particulière pour Gérard Depardieu qui est un monstre magnifique. Superbe et déchiré. Tendre et violent. Cela a été une vraie rencontre parce que Depardieu sait farfouiller dans le tréfonds des âmes. Il va droit à l’essentiel. Parle au cœur et à la raison. Il ne fait pas le paon. Ne joue pas à l’acteur. J’ai aimé également rencontrer Jean d’Ormesson, plus complexe que son sourire rayonnant et ses yeux pétillants le laissent croire. Lagerfeld, Sardou , Finkielkraut, Benoîte Groult et Christine Angot. J’aime en général les personnalités qui dérangent, qui piquent comme Yann Moix.

 

IN. : ceux avec lesquels vous pourriez vous confiner sur une île déserte? 

 

A.F. : ouh là…ce n’est pas rien, cela, partir se confiner sur une île déserte. Kersauzon, peut-être. J ’aime bien les taiseux qui ont de la profondeur. Et puis il connaît la mer…

 

IN. : les monstres peuvent-ils être charmants… ?

 

A.F. : bien-sûr, ils peuvent être charmants, séduisants, fascinants même. Agaçants aussi, parfois. Mais il faut tenter de garder à l’esprit que lorsqu’ils ont un journaliste en face d’eux, ils cherchent en général à lui plaire. Ils essaient de se montrer sous leur meilleur jour. Ce sont, en effet, souvent de grands séducteurs dont l’un des moteurs est de plaire et d’être dans la lumière qui est pour eux une forme de catalyseur, de moteur. Ce qui ne signifie pas évidemment qu’il n’y a pas de monstres anonymes, de personnalités exceptionnelles qui refusent de succomber à la foire aux vanités.

 

 

IN. : quel est votre sentiment sur la gestion de ce deuxième confinement et de ces ajustements qui se font jour après jour, notamment concernant le débat de ce qui essentiel ou non.

 

A.F. : je trouve qu’il y a des incohérences mais je ne me permettrai pas de charger le chef de l’Etat en ce moment. Rarement, en effet, un (jeune) président n’aura eu à traiter simultanément tant de crises graves : la crise sanitaire, la crise économique, l’essor de l’islamisme radical.

 

 

IN. : les librairies fermées, -hypers et FNAC ouverts sans pour autant vendre de livres…n’est-ce pas un peu illogique. Il s’agit de vendre des livres… pas d’empêcher leurs ventes…

 

A.F. : oui c’est illogique, mais laisser les grandes surfaces continuer à vendre des livres tandis que les librairies indépendantes ont, elles, dû baisser le rideau entraînait aussi une distorsion de concurrence. Evidemment, il aurait été préférable, et c’est une mesure sur laquelle le gouvernement a laissé entendre qu’il y avait encore une ouverture, que l’on considère que les livres sont des biens « essentiels » et qu’ils puissent donc continuer à être vendus partout, en respectant évidemment les consignes sanitaires.

 

 

IN. : comment vivez-vous l’époque actuelle ? En tant que journaliste, autrice, femme spécialisée en politique?

 

A.F. : c’est une époque d’accélération intense plutôt inquiétante. On semble découvrir avec retard le pouvoir exorbitant et sans contrôle des réseaux sociaux, leur face sombre qui permet de diffuser de fausses informations, de lyncher une personne – publique ou non – , de manipuler les foules avec une efficacité et une rapidité redoutables. Les hommes politiques semblent hélas connaître le même temps de vie, de plus en plus court, que les informations sur Twitter. Le vieil adage « on lèche, on lâche, on lynche » est plus que jamais d’actualité. Avec une spécificité : la violence ambiante. On a l’impression que le thermomètre s’est cassé et dans ce paysage de désolation, on ne voit aucune figure politique vraiment crédible se profiler à l’horizon.

 

 

IN. : auriez-vous aimé suivre la campagne américaine en tant que journaliste?

 

A.F. : oui, bien-sûr ! Car même si je ne suis plus au jour le jour la politique, comme je le faisais lorsque j’ai été longtemps accréditée à l’Elysée, une campagne présidentielle est toujours passionnante à suivre. Tout est exacerbé, outré. Et plus encore, dans cet exemple précis, cet affrontement Trump-Biden. Celui de deux septuagénaires dont les profils sont aux antipodes mais qui ont néanmoins une caractéristique en commun : un isolationnisme assumé. L’Europe, et singulièrement la France, n’est clairement pas au centre de leurs préoccupations.

 

 

IN. : comment avez-vous vécu le mouvement metoo, estimez-vous que la société fait des progrès quant au sujet du patriarcat dominant ? Que la jeunesse fait bouger les lignes ?

 

A.F. : je suis partagée sur ce mouvement et je sais que cela ne va pas m’attirer que des sympathies. Le patriarcat, quel que soit l’endroit où il s’exerce, dans le monde de l’entreprise, des médias, de la religion aussi, doit être bien évidemment combattu. Il y a trop longtemps eu une espèce de chape de plomb qui a offert à certains hommes une forme d’impunité inacceptable. Mais, le fait de livrer en pâture quelqu’un, de « balancer son porc », dans les médias ou sur les réseaux sociaux, sans procédure judiciaire, en piétinant le principe de la présomption d’innocence me met terriblement mal à l’aise aussi et risque de creuser le fossé entre les hommes et les femmes. Mon espoir est de constater que les jeunes générations ont des relations bien plus saines et matures concernant l’égalité des sexes que leurs aînés. Les filles semblent dégager une forme d’autorité naturelle empêchant d’éventuels prédateurs d’agir et les garçons semblent bien plus concernés par cette cause qui leur semble aller de soi.

 

 

IN. : vous avez deux enfants, sont-ils comme nous l’avons été pour nos parents, une génération de personnes très différentes ? Et si oui en quoi principalement?

 

A.F. : iIs sont avant tout géniaux, chacun à leur manière, ce sont de magnifiques monstres comme je le dis dans mon livre que je leur ai dédié ! Et je constate qu’ils ont, malgré une époque qui est loin d’être facile à vivre, des angoisses bien-sûr mais aussi une sorte de tranquille assurance. Moins d’a priori, d’idées préconçues sur leur carrière que j’ai pu en avoir. Je mise sur leur intelligence, leur inventivité pour s’adapter à ce monde qu’ils rêvent meilleur. J’ai confiance en eux.

 

 

IN. : avez-vous le sentiment que nous sommes en train de basculer dans un monde d’après? Si oui comment appréhendez-vous cette révolution qui est en marche? 

 

A.F. : le monde bouge et vite. Très vite. Et là, on est « dans le dur », si je puis dire. Confrontés à des choix essentiels concernant l’avenir de notre planète, la sauvegarde de nos libertés, de notre culture occidentale mais aussi tout bonnement de notre mode de vie. Le numérique a permis des avancées incroyables mais a également installé insidieusement une société individualiste, désincarnée – que le confinement ne fait qu’accentuer – dans laquelle les piliers d’avant semblent ébranlés. Je ne veux pas voir l’avenir en noir. Je mise sur l’intelligence humaine et sur le fait que, dans tous les domaines, le balancier finit toujours par revenir au milieu.





source : www.influencia.net

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