The Good : Label, certification, mouvement : B Corp est souvent revendiqué par les entreprises engagées, mais reste peu connu des non-initiés. Pourriez-vous nous présenter B Corp ?
Augustin Boulot : B Corp est né aux US en 2006, au sein dâune ONG, B Lab, avec lâambition de permettre aux entreprises de pérenniser leurs bonnes pratiques au-delà des dirigeants et dirigeantes, en inscrivant leurs engagements dans leurs statuts. En France câest une association de loi 1901, créée fin 2019, prenant le relai du cabinet Utopies qui était le remarquable porteur du mouvement B Corp en France depuis 2015.
Nous sommes très attachés à la notion de mouvement. B Corp tente de créer un cadre et un chemin pour aider les entreprises à repenser le rôle et la place quâelles peuvent tenir dans la société. Nous le faisons avec plusieurs outils. Tout dâabord le label, qui récompense les entreprises assez pionnières. Câest une vitrine qui permet de montrer que lâon peut réconcilier lâentreprise et le bien commun ; un projet économique et financier qui tient la route et qui a un impact positif sur lâenvironnement, la société et lâensemble des parties prenantes de lâentreprise. Le deuxième outil est le B Impact Assessment (BIA), qui structure tout le fond de la démarche et qui est audité par nos soins. Les entreprises qui veulent être labellisées doivent franchir la barre des 80 points. Il peut être utilisé librement et gratuitement par toutes les autres, et servir de point de repère, un outil de pilotage utile dans la construction dâune feuille de route pour celles qui inscrivent leur transformation dans le temps long.
Le mouvement B Corp est un collectif dâentreprises qui se mettent en action, avec lâenvie de progresser. Câest une des forces du mouvement. Selon une de nos études au UK, 75% des entreprises viennent pour lâaspect communautaire, au-delà du label utile à une levée de fonds ou recruter des talents. Nous essayons donc de faciliter les échanges entre les entreprises membres, par lâanimation de groupes de travail sur le carbone et le climat, la gestion des déchets, le management responsable, la société à mission, etcâ¦Il sâagit de partager de bonnes pratiques, voire dâéchanger entre entreprises parfois concurrentes pour affronter les défis qui sont les mêmes pour nous tous. Nous proposons également au monde académique dâêtre associé et voulons tisser des liens forts avec les acteurs économiques au niveau local.
The Good : Comment avez-vous construit le BIA â qui sert de base à la labellisation ?
A.B : Notre fil rouge est la possibilité de développer un modèle dâentreprise qui crée de la valeur pour lâensemble de ses parties prenantes, à considération égale en termes de décision stratégique et de répartition de la valeur. Il nâest pas question de déconsidérer lâactionnaire, mais nous pensons que la valeur doit être la mieux répartie possible.
Le BIA est structuré autour des 5 grandes familles de lâImpact et ses parties prenantes. Il y a tout dâabord la gouvernance, les questions relatives aux actionnaires, aux prises de décisions, à lâinscription de la mission ou de la raison dâêtre dans les statuts de lâentreprise, et à son respect. Puis les questions liées aux collaborateurs : niveau de rémunération, de bien-être, dâéquilibre vie professionnelles/ vie personnelle, de progression interne et personnelle, etc⦠Le troisième volet câest la « community », que lâon traduit en Français par « collectivité », à savoir toute la chaîne de valeur et la façon dont lâentreprise va agir avec ses parties-prenantes locales, les questions de diversité et dâinclusion. La quatrième grande famille, câest lâenvironnement autour de deux blocs : la gestion environnementale (mesure, objectifs etc..) et lâimpact opérationnel sur lâeau, les déchets, la biodiversité, le carbone, etc. Enfin, le cinquième pilier, plus récent, correspond aux clients : comment lâentreprise protège ses clients, leurs données, les sujets dâéthique du marketing et de la communication.
Une des vraies spécificités de B Corp est la reconnaissance des modèles dâaffaires à impact et de fait, le double niveau de réponse au BIA. Dâun côté, les pratiques opérationnelles ; de lâautre, la démonstration pour lâentreprise quâelle va, de manière structurante, vers un modèle à impact. Par exemple, le bio est considéré comme un modèle dâaffaire à impact, et nous allons récompenser les entreprises qui sont très structurées sur le sujet, et non celles qui auraient fait simplement lâeffort de ne sortir quâune gamme bio à côté de leurs autres produits. Cette question du modèle dâimpact est challengeante pour lâentreprise, et certainement celui qui est le plus transformant. Dans les projets de re-certification que nous recevons, 50% affirment avoir ajouté un modèle dâaffaires à impact. Au-delà des bonnes pratiques opérationnelles quâune entreprise peut mettre en place, si elle touche à son modèle dâaffaire, câest quâelle a pris une décision assez radicale, un virage important dans son offre, son recrutement, son mécanisme industriel, etc. Cette dimension transformante fait que B Corp sâinterface bien avec la Société à mission.
Notre fil rouge est la possibilité de développer un modèle dâentreprise qui crée de la valeur pour lâensemble de ses parties prenantes, à considération égale en termes de décision stratégique et de répartition de la valeur.
The Good : Comment se structure le mouvement B Corp en France ?
A.B : Notre association compte une dizaine de permanents, bientôt quinze. Nous avons été submergés par les demandes de certification depuis notre création il y a deux ans et demi. Nous avons mis notre énergie sur la réponse aux questions et à lâaccompagnement des entreprises. Les prochains mois pourront être un peu plus consacrés à lâélargissement de notre capacité dâinfluence. B Corp France câest 190 entreprises certifiées, et 10 000 utilisateurs du BIA, gratuit et sans limite dâutilisation. On se doit de proposer des outils à ces entreprises aussi, pour les aider à progresser. Car si on ne parle quâaux pionniers, on nây arrivera pas !
The Good : Comment B-Corp se positionne face aux autres outils et démarches dâévaluation, comme par exemple la plateforme impact.gouv ?
A.B : Dans le cas dâimpact.gouv, nous avons proposé au groupe de travail mis en place par la Ministre Olivia Grégoire lâintégralité du BIA en format excel (soit 300 questions à tiroir, quasiment 2000 références dâimpact). Une de nos convictions est quâil faut dépasser les enjeux de RSE pour interroger les modèles dâaffaires des entreprises. Nous sommes également convaincus quâun des grands enjeux auquel nous devons répondre collectivement, câest la création de ponts, parfois même technologiques, pour faciliter la vie des entreprises qui doivent remplir de nombreux documents (labels, conformités, BIA, etcâ¦), en faisant en sorte quâil y ait une connexion entre toutes ces plateformes. Nous lâavons fait en 2020 avec le Global Compact de lâOnu, au moment où nous avons lancé le SDG Action Manager. Cela permet aux entreprises qui remplissent leur BIA de remplir pour 45% des questions une équivalence en langage ODD (objectifs du développement durable).
On essaye souvent de nous faire dire que nous sommes concurrents, avec Zei, la communauté des Entreprises à mission, Afnor, Lucie, etcâ¦Je pense que câest tout lâinverse.
The Good : Quelle est la latitude de B Lab France vs lâinternational ?
A.B : B Corp un label international, construit comme tel. Beaucoup dâentreprises viennent pour cela. Les décisions sont prises à lâinternational, un peu comme à lâONU, où il y a des négociations, des compromis, même sâil existe au niveau régional des groupes de travail reconnus dans la gouvernance. A terme il y aura un enjeu relatif au poids de lâEurope dans la gouvernance de B Lab et de la décentralisation des standards. Une autre question se pose, celle de la reconnaissance européenne donnée à notre organisation, pour participer aux consultations et décisions officielles, par exemple sur la taxonomie européenne, la directive CSRD ou le reporting extra-financier..
B Lab nâest pas un outil normatif, câest un de nos marqueurs. Nous nous appuyons sur un certain nombre de normes existantes (ISO 26 000, 14 001, etc..), mais notre référentiel repose surtout sur les pratiques et la performance. Par exemple, si vous avez mis en place du mécénat de compétence, ce qui va surtout nous intéresser câest « combien de salariés, pour combien dâheures ? ». B Corp est un outil de mesure dâimpact des pratiques. Cela fait que les entreprises sây retrouvent.
The Good : Quel bilan faites-vous du B Corp Month qui sâest tenu en mars ?
A.B : Chaque mois de mars, partout dans le monde, les entreprises B Corp essayent de mettre en valeur ce quâelles font. Câest aussi lâoccasion de faire un peu de BtoC. Cette année cela a été très particulier, lâinvasion de lâUkraine a débuté au moment où nous lancions la campagne. Nous avons changé la tonalité de nos messages, afin dâexpliquer ce que cela implique en matière de pratique managériale, environnementale, etc.. Câest un moment important car cela permet de rappeler que B Lab câest un mouvement, local, national et international.
The Good : Comment voyez-vous les prochaines années ?
A.B : Si lâon suit le rythme des deux dernières années, nous pourrions franchir le cap des 500 B Corp dâici 2-3 ans. Nous avons un enjeu de capacité dâaudit, nous avons une longue file dâattente, malgré un triplement des effectifs dâaudit. Un auditeur met 9 mois à être forméâ¦
Si lâattente va se résorber, il faudra cependant que lâon se résolve à lâidée que toutes les entreprises ne pourront être certifiées, mais que nous devons leur offrir un cadre, un chemin de progrès.
Si lâon suit le rythme des deux dernières années, nous pourrions franchir le cap des 500 B Corp dâici 2-3 ans.
source : www.influencia.net