INfluencia : Franc-Tireur a été lancé le 17 novembre 2021 en tant que journal dâopinion qui défend la raison. Quel bilan peut-on dresser sept mois plus tard ?
Caroline Fourest : je ne mâattendais pas à ce que lâon trouve un public aussi rapidement. En six mois, Franc-Tireur a recruté 18 500 abonnés et se vend à 25 à 30 000 exemplaires en kiosque chaque semaine, ce qui va bien au-delà de nos espérances. Avec Raphaël Enthoven, Christophe Barbier et Eric Decouty, nous avons sculpté un journal qui voulait résister aux extrêmes et aux excès, en se revendiquant clairement de la raison et de la philosophie des Lumières, avec cette envie dâun approfondissement éclairé. Une des opportunités pour les propagandistes et les radicaux est de se saisir de la rapidité des choses pour tout simplifier. Notre mission consiste à aller aussi vite quâeux pour tout complexifier. Le plus difficile consiste à faire écrire des articles par des intellectuels dans un format très court et à défendre la complexité avec un ton offensif. Câest ce que je pratique depuis un certain nombre dâannées, mais aligner un collectif sur ces réglages a été un vrai défi. On fait beaucoup travailler nos rédacteurs pour arriver à cette métabolisation de la complexité dans un format court et attractif et on ne les lâche pas sur cet objectif de faire toujours plus court et plus clair. Câest là que réside la résistance et le combat parce que cette métabolisation demande un surcroît dâénergie.
Une des opportunités pour les propagandistes et les radicaux est de se saisir de la rapidité des choses pour tout simplifier. Notre mission consiste à aller aussi vite quâeux pour tout complexifier
IN : que dit ce succès, comme celui dâautres titres lancés ces derniers mois ou années, de lâattente envers une presse dâopinion ?
C.F. : dans lâimmense magma numérique où tout le monde se retrouve submergé par un trop-plein dâinformations, chacun cherche un moyen dây voir clair et de sây retrouver à partir de sa sensibilité. Des gens nous disent que cela leur fait du bien de lire Franc-Tireur et de se rendre compte quâils ne sont pas tout seuls à trouver que des gens sont beaucoup trop énervés. On s’énerve ensemble avec des gens qui nous énervent mais lâobjectif est de retrouver un calme commun et de sâapaiser car il y a encore des gens qui prennent le temps dâanalyser.
IN : en tant que presse d’opinion, quelle place réservez-vous aux politiques ?
C.F. : on nâinterroge quasiment pas de politiques, mais on a récemment publié un grand entretien avec Carole Delga, la présidente de la région Occitanie, et Michaël Delafosse, le maire de Montpellier, deux personnalités de gauche entrées en dissidence par rapport à Nupes. Franc-Tireur a envie dâêtre un lieu où la gauche peut se poser les questions de fond. Nous venons dâune gauche très attachée à la laïcité et aux questions républicaines. On sera mordants et offensifs avec ceux qui égratignent ces valeurs et ces principes.
IN : dans quelle mesure la période électorale ou la guerre en Ukraine ont-ils porté le lancement ?
C.F. : lutter contre les postures extrémistes est très décorrélé de lâenjeu électoral. Il y a toujours un sujet pour Franc-Tireur, quâil sâagisse de la propagande russe sur la guerre en Ukraine, de la montée de lâextrême droite, des postures victimaires, racialistes ou à tendance pro-islamiste. On ne sâennuie jamais comme, malheureusement, on ne sâennuie jamais depuis une bonne vingtaine dâannées en matière de lutte contre les postures extrémistes et la polarisation. On a annoncé très tôt la fin des poutinolâtres, dès le numéro du 2 mars qui montrait Poutine se faisant baiser la main par Jean-Luc Mélenchon, Eric Zemmour et Marine Le Pen. Câest dâailleurs un de ceux qui sâest le mieux vendu, avec 29 000 exemplaires. La brutalité de lâinvasion russe en Ukraine a eu au moins le mérite de faire tomber les masques. Quand, un jour, jâavais dit à la télévision quâil nây avait pas plus nocif que Poutine pour la planète, les gens éclataient de rire. Comme certains avaient éclaté de rire quand on disait quâun jour il y aurait des attentats à Paris⦠Cela montre aussi lâimportance de ne pas se désintéresser de lâinternational. On essaie de ne jamais réduire le débat à sa dimension politicienne, de toujours le lire à travers les grandes questions et les débats de fond : le rapport à lâUnion européenne, à lâenvironnement⦠Sur Nupes, on a été assez sévères. Du point de vue tactique, on peut être emballés par cette alliance mais, du point de vue intellectuel, on ne peut quâêtre frappé par les grandes fractures et les grands clivages.
IN : certains sujets sont-ils plus « vendeurs » que dâautres ?
C.F. : En dehors du numéro un qui sâest vendu à 72 000 exemplaires, les ventes sont assez stables, avec un plus bas à 19 000 et jusquâà 35 000 pour le numéro spécial sur « Les dix raisons de bloquer Marine Le Pen », qui était un vrai mode dâemploi au moment où on avait besoin. Le titre marche bien sur les questions de réarmement intellectuel, ce qui est satisfaisant car câest une belle approche. On essaie de faire porter nos unes par le dossier mais on sâautorise parfois à sâen éloigner pour faire une affiche. Au début de la guerre en Ukraine, les numéros sur Poutine ont bien fonctionné. Comme celui sur CNews avec une enquête qui nâétait pourtant plus tellement dans lâactualité, mais qui nous tenait à cÅur.
Le titre marche bien sur les questions de réarmement intellectuel, ce qui est satisfaisant car câest une belle approche
IN : quel type de lecteurs avez-vous attiré vers Franc-Tireur ?
 C.F. : on a un public très large, qui va de gens de très haut niveau et très CSP+, qui lisent encore la presse, à des gens qui ne lisaient plus du tout la presse. Certains nous disent quâils nâavaient jamais été abonnés à rien ou qui sâétaient désabonnés de tout. Le but est que le journal apporte quelque chose dâéclairant et de stimulant intellectuellement le temps dâun très long café. En proposant un petit format, on a aussi lâattractivité du prix à 2 euros, qui devient accessible à des gens qui nâavaient plus les moyens dâacheter la presse. On a dâailleurs envie de lancer une formule pour les étudiants. Câest mon rêve que les étudiants, les gens qui nâont plus les moyens dâacheter la presse et les CSP+ lisent le même journal avec le même plaisir. Si on y parvient, on arrivera peut-être à armer intellectuellement des gens sur des sujets qui les concernent tous, en leur faisant en plus le plaisir de garder ce lien avec la presse écrite.
Le public de Franc-Tireur va de gens de très haut niveau et très CSP+, qui lisent encore la presse, à des gens qui ne lisaient plus du tout la presse ou nâavaient plus les moyens de lâacheter
IN : des évolutions à venir sur la ligne éditoriale et sur la marque ?
C.F. : on veut sâaméliorer sur les questions environnementales et économiques. De jeunes passionnés dâéconomie nous rejoignent et nous voulons les former à écrire avec profondeur et pédagogie. Cet été, nous voulons aborder des thèmes de société comme lâemprise, les OGM ou le rapport du Giec pour trier la part de fantasme de lâalerte véritable quâil faut entendre. Comme on est très critiques sur lâécologie punitive, on ne veut pas oublier que lâécologie reste la philosophie politique de lâavenir et proposer des pistes très concrètes pour montrer aux gens ce quâils peuvent faire pour sauver la planète sans tout défaire. Nous allons aussi parler des grandes aventures, par exemple en donnant la parole à des gens comme lâexplorateur et écrivain Patrick Franceschi (auteur notamment de Sâil nâen reste quâune sur deux combattantes kurdes pendant la guerre en Syrie, ndlr), pour quâil nous parle de ses expériences autour de La Boudeuse, le trois-mâts sur lequel il emmène des jeunes pour se construire en voyageant et qui vient de se voir confier une mission Planète 2022 sur le service national universel qui partira à lâautomne pour un tour du monde. Compte tenu de lâaccueil de lâhebdomadaire, CMI souhaite que lâon développe quatre hors-série par an et que lâon rénove le site. C’est ambitieux, mais il faut tenir cette exigence sur tous ces supports.
En savoir plus
Franc-Tireur compte 18 500 abonnés et ses ventes atteignent en moyenne 30 000 exemplaires chaque semaine.
Une étude lecteur a montré que :
- les acheteurs actuels avaient acheté 90% des numéros précédents.
- 94 % des acheteurs actuels disent quâils vont continuer à lâacheter régulièrement dans le futur.
- la moitié le feront principalement pour soutenir et participer au combat de Franc-Tireur. Lâautre moitié pour la qualité de ses contenus.
source : www.influencia.net