The Good : 2021 a été une année charnière pour l’impact et pour votre mouvement. Quels enseignements en tirez-vous ?
Caroline Neyron : 2021 est lâannée dâune certaine consécration pour le mouvement. Il a été fondé il y a plus de dix ans par des pionniers â qui prêchaient vraiment dans le désert â convaincus que lâentreprise pouvait être inclusive et durable, et donc intégrer en son cÅur son impact social et écologique. Le climat et lâinclusion deviennent enfin des enjeux, des petites entreprises à celles du CAC 40, et cela pollinise lâéconomie classique. Câétait depuis le départ un enjeu du mouvement, fondé pour montrer quâune autre manière dâentreprendre est possible, et en partager les bonnes pratiques.
Ce qui a changé également câest la prise de conscience des consommateurs et des jeunes qui poussent les entreprises à agir. Quand 80% des consommateurs disent quâils vont changer de marque si elle ne respecte pas leurs valeurs, elles ont intérêt à sâen occuper! On voit également lâémergence dâune demande de transparence accrue des salariés, et des managers de demain qui intègrent ces enjeux dès leurs études, comme le montre le mouvement Pour un réveil écologique.
Il y a un alignement des planètes entre de vraies lames de fonds du côté des consommateurs et des salariés, une prise de conscience des acteurs économiques, qui au-delà de devoir répondre aux attentes de leurs parties prenantes, intègrent les risques socio-écologiques. Et enfin, il y a une montée en puissance des réglementations, dâun volet politique, au niveau européen notamment, et lâidée quâil faut accompagner ces réglementations.
TG : Face à ce succès des sujets impact, vous voyez aussi poindre des risques n’est-ce pas ?
CN : Si une dynamique extrêmement positive sâest engagée, nous pensons aussi que câest une période de risque, au regard de la forte attente et la forte confiance dans le rôle des entreprises. Pendant longtemps les enjeux sociaux et écologiques câétait lâÃtat. Et aujourdâhui les citoyens disent que les entreprises aussi doivent sây mettre. Il ne faut pas décevoir, il faut être au rendez-vous de ces bouleversements majeurs de la société. Et ce ne sont pas de simples ajustements quâil faut faire.
Le travail que lâon fait aujourdâhui est de dire « on a une chance unique, mais on a un risque unique aussi ». Câest un moment clé, celui dâune vraie accélération, mais il ne faut pas que cela se retourne. Ce serait dommage car tout le monde est de bonne volonté par ailleurs. Il est important que tout le monde tire dans le même sens. Et sache dans quel sens tirer.
Il y a un vrai risque de greenwashing et donc un besoin de vigilance, sans empêcher les gens de faire. Pour éviter que lâon passe de lâattente et la confiance à la défiance, il y a un enjeu de clarification, et que les politiques et les pouvoirs publics aient un rôle dâarbitre, de médiateur. Les entreprises ne savent plus quel enjeu choisir, quel objectif suivre. Il y a de nombreux référentiels existants â plusieurs centaines-, personne ne comprend à quoi ils correspondent. Le plan de relance de 100 milliards lui ne donne pas dâobjectifs verts aux entreprises, il ne les engage pas dans leur transformation écologique et sociale. Or nous avions par exemple proposé le conditionnement des aides au partage de la valeur et de la gouvernance, sur les enjeux dâégalité, et un crédit dâimpôt écologique et social pour accompagner les entreprises dans leur transformation car on sait que cela va leur coûter de lâargent et de la ressource, pendant 3 à 5 ans.
Il y a un momentum extraordinaire et une très grande diversité dâengagement, mais en même temps, un manque de clarté qui brouille un peu le message et qui pourrait constituer une occasion manquée.
LE TRAVAIL QUE LâON FAIT AUJOURDâHUI EST DE DIRE « ON A UNE CHANCE UNIQUE, MAIS ON A UN RISQUE UNIQUE AUSSI ». CâEST UN MOMENT CLÃ, CELUI DâUNE VRAIE ACCÃLÃRATION, MAIS IL NE FAUT PAS QUE CELA SE RETOURNE.
TG : Quelles sont vos propositions pour éviter que l’alignement des planètes ne se transforme en rendez-vous manqué ?
CN : Nous pensons quâil faut un référentiel partagé par toutes les entreprises : elles doivent voir et savoir quels sont les champs sur lesquels elles doivent travailler, avec des indicateurs clés, quels sont leurs enjeux de transformation. Ce nâest pas clair pour les PME aujourdâhui. Nous avons construit un référentiel pour quâelles comprennent que transformation écologique et sociale vont de pair. La transformation doit être globale pour pouvoir être acceptée et tenue. La transformation sur les enjeux écologiques et sociaux doit sâaccompagner dâune transformation de la manière de faire de lâentreprise, notamment en matière de gouvernance et de partage de la valeur. Quand les organisations ne sont pas alignées sur des objectifs clairs, même si elles souhaitent se transformer, elles sâarrêtent en plein milieu.
Avoir un référentiel clair pour toutes les entreprises, avec des objectifs, comme cela a été le cas avec lâIndex Pénicaud sur lâégalité femmes-hommes. Lâindex comprend 5 indicateurs, un objectif par indicateur et une note sur 100, qui permet aux entreprises de voir chaque année où elles en sont. Si elles nây sont pas, elles doivent alors faire un plan de progression pour arriver à la note minimum de 75. Beaucoup dâentreprises étaient contre, beaucoup sây sont mises, beaucoup ont réellement progressé. Câest un bel exemple dâun outil simple, clair, pour que tout le monde ait la même grille de lecture, aille dans le même sens et sâaméliore.
Câest ce qui nous paraît important et utile aujourdâhui, un référentiel clair qui peut aussi être partagé par les consommateurs et les salariés. Car pour eux aussi câest un peu flou. Lâindex impact que nous proposons contient 5 indicateurs par enjeu : égalité F/H, inclusion, climat, partage de la valeur et de la gouvernance, et stratégie impact. Il ne sâagit pas de réinventer la poudre mais de sâinspirer du dispositif de lâIndex Pénicaud pour aller plus loin sur les enjeux dâimpact.
TG : N’est-ce pas le rôle de la plateforme Impact.gouv ?
CN : Nous étions hyper contents que la ministre (Olivia Grégoire) reprenne cette idée de référentiel dans la plateforme impact.gouv, mais ce qui nous paraît important vu les enjeux, câest que lâindex soit obligatoire pour toutes les entreprises de plus de 50 salariés, et quâil y ait surtout des objectifs à suivre, pour savoir où elles en sont, se comparer et sâaméliorer. Exactement comme sur le modèle de lâindex égalité F/H.
Aujourdâhui ce nâest pas si clair. Tout le monde a envie de faire, mais fait ce quâil veut, dans son coin, peut changer son indicateur dâune année à lâautre parce que le résultat nâétait pas bon⦠On ne peut pas leur en vouloir. Personne ne leur demande rien.
Ce qui nous paraît également important, câest le soutien à lâinnovation écologique et sociale, qui est mal soutenue par rapport à lâinnovation tech. Nous aimerions que le dispositif JEI (jeune entreprise innovante), qui est très valorisant pour les entreprises, avec des dispositions fiscales favorables pendant les 7 premières années, soit transposé aux entreprises à impact social et écologique, avec la création dâun statut de Jeune Entreprise à Impact. Pour que lâon puisse vraiment inciter les entreprises à la transformation.
Il faut des objectifs clairs et du soutien. Avoir une feuille de route et des encouragements pour la mener. Car les entreprises qui sont les plus vertueuses aujourdâhui, celles qui mettent lâimpact écologique et social au cÅur de leur action, nâont presque aucune aide. Celles qui sont dans des chemins de transformation exigeants, qui bougent, vont certes en bénéficier à terme. Mais au démarrage, vu les changements drastiques que cela suppose, et qui peuvent susciter des interrogations de la part des salariés et des actionnaires, ces entreprises doivent être soutenues.
TG : 2022, année de présidence Française de l’union européenne et de la présidentielle. Quels sont vos enjeux et objectifs ?
CN : Notre premier enjeu : faire en sorte que les sujets écologiques et sociaux, et notamment sur lâéconomie, prennent une place centrale dans les débats. Nous souhaitons que lâon se demande quel modèle économique va nous permettre dâaffronter les prochaines années dans de bonnes conditions. Faire en sorte que ces sujets puissent passer le mur du son : poser la possibilité dâun autre modèle économique â avec un meilleur partage de la valeur et du pouvoir dans lâentreprise ; se demander comment on soutient les entreprises pour se transformer, comment cela créer de lâemploi différent, de lâemploi plus inclusif ; comment remettre la question de la justice, de lâinclusion et du climat dans lâéconomie.
Nous avons un message intéressant, un message dâentrepreneurs, de chefs dâentreprises (de 2 à des milliers de salariés), qui ne sont ni des activistes, ni des associations caritatives, et qui disent « bien sûr que câest possible. Câest même simple. Il suffit dâavoir le bon tableau de bord et de changer les règles de la compétitivité actuelle ». Aujourdâhui on est compétitif quand on a le prix le plus bas. Le prix le plus bas câest la prime au vice. Câest la prime à des gens mal-payés, câest la prime à ne pas réinvestir sur des enjeux dâavenir. Notre question câest comment on peut faire de la compétitivité autrement, en repensant la fiscalité et lâaccès à la commande publique suivant les engagements de lâentreprise, qui sont des engagements pour le bien commun.
Notre enjeu câest vraiment la compétitivité écologique et sociale, remplacer la prime au vice par la prime à la vertu, la prime à intégrer les enjeux environnementaux, les enjeux sociaux.
TG : Finalement, alors que le débat porte sur une dialectique croissance sans limite ou décroissance, vous apportez une troisième voie ?
CN : Nous ne sommes pas du tout pour ce débat, on pense quâil fait perdre du temps à tout le monde. Le débat câest : sur quoi se font la compétitivité et la performance ? Pour nous la seule manière de les repenser â et ce nâest pas compliqué-, câest de positionner des enjeux, des engagements, des objectifs.
Câest aussi le sens de notre mobilisation au niveau européen. On promeut une loi Pacte européenne qui pourrait être une Loi « Impact » européenne, pour quâil puisse y avoir des cadres, une vision universelle de lâengagement, pour que les entreprises engagées soient soutenues et quâil y ait une vraie compétitivité écologique et sociale à lâéchelle européenne.
source : www.influencia.net