INfluencia : quelle place veut tenir Franc-Tireur dans le débat public, en cette période pré-présidentielle ?
Christophe Barbier : Franc-Tireur est un hebdomadaire dâopinion qui intervient dans le débat politique au sens large, pas seulement électoral mais aussi sur tous les débats de société dont il est actuellement question. Nous défendons la raison, dans une ligne intellectuelle et même idéologique qui va du siècle des Lumières, en passant par Victor Hugo et les grands penseurs de la IIIe République, Albert Camus et Raymond Aron, jusquâà nous⦠Ãvidemment en lâadaptant aux débats dâaujourdâhui. Lâindigénisme ou le décolonialisme nâexistaient pas à lâépoque des Lumières mais lâintégrisme religieux était déjà une réalité pour Camus ou Voltaire et demeure aujourdâhui un combat nécessaire. Nous abordons ces thèmes en tenant compte dâun débat politique qui sâest durci, polarisé et fait la part belle aux extrêmes. Nous voulons y prendre part avec des valeurs beaucoup plus modérées mais avec la même virulence et le même aspect offensif que peuvent avoir les extrêmes.
Le choix dâêtre offensif nous permettra dâêtre lus par nos adversaires
IN : les valeurs modérées et nuancées sont souvent plus ambitieuses mais pas dans le « prêt à mâcher ». Nây a-t-il pas le risque de ne sâadresser quâà une population qui fait déjà cet effort intellectuel et de recréer une forme dâentre-soi ?
C.B. : je ne pense pas car le choix dâêtre offensif nous permettra dâêtre lus par nos adversaires. On espère ainsi élargir le spectre de nos lecteurs et ne pas être uniquement suivis par des gens qui considèrent que lâon a raison. Cette minorité silencieuse trouve des tribunes dans dâautres journaux (Le Figaro, Le Monde, Les Echosâ¦) où le combat pour la raison est bien représenté mais nâa pas dâorgane de presse. Aucun autre hebdomadaire ne rassemble ces combats pour la raison : celui qui sera mené contre les anti-pass et anti-vax, contre les décolonialistes, contre Zemmour qui veut changer les prénoms, contre Jean-Luc Mélenchon quand il est dans lâislamo-gauchisme⦠On peut donner envie de venir vers nous à tous ceux qui partagent cette majorité dâidées, qui est souvent une majorité de bon sens.
IN : Franc-Tireur mise sur le papier. Dâoù partez-vous après les campagnes de préfinancement sur Facebook et KissKissBangBang pour atteindre les 10 000 abonnés dont vous avez besoin pour être à lâéquilibre ?
C.B. : la campagne de crowdfunding a permis de dépasser les 4000 abonnements, qui étaient la barre haute que nous nous étions fixés. Câest parti très vite, notamment avec une adhésion ultra-rapide aux offres avec une participation à la vie de la rédaction. Ces chiffres montrent bien lâappétit quâil y a pour ce journal et quâil y a bien un lectorat impatient de trouver un journal manifeste. Câest aussi pour cela que nous avons fait le choix du papier. Franc-Tireur nâest pas seulement un journal quâil faut lire, mais une lecture qui montre ce quâon lit. Un abonnement militant pour un affichage de combat ! Le choix du papier sâappuie complètement là -dessus même si les gens pourront aussi lâacheter en pdf parce quâon est au XXIe siècle.
Il y a bien un lectorat impatient de trouver un journal manifeste, tel que Franc-Tireur.
IN : pourquoi se passer de publicité ?
C.B. : déjà parce que câest un 8 pages et il nây a pas une place énorme. On mène une grande bataille pour la concision des papiers dâautant quâune bonne partie de nos amis intellectuels ont du mal à faire court. On ne peut donc pas prendre en plus des quarts de page pour de la publicité. Câest aussi un gage dâindépendance absolue car on va être amenés à critiquer fortement des groupes économiques, des livres, des groupes de médiasâ¦, ce qui pourrait nous amener à être en porte à faux. Sans publicité, ce sera plus clair. Comme on cherche lâadhésion du lecteur papier et la vente au numéro, ce nâest pas la peine dâaller chercher une autre recette qui cherche dâabord lâimportance de la diffusion ou la beauté du papier. Câest le contenu qui fera la qualité du titre.
Pas de pub et indépendance absolue car on va être amenés à critiquer fortement des groupes économiques, des livres, des groupes de médias…
IN : la périodicité hebdomadaire est sans doute parmi les plus difficiles à installer. Quâavez-vous tiré comme enseignements de lâéchec, en 2018, des précédents hebdomadaires Ebdo et Vraiment ?
C.B. : la périodicité hebdomadaire est difficile à installer si on est dans un news généraliste qui veut traiter de toute lâactualité. Avec les délais de bouclage, vous êtes débordés sur lâactualité la plus chaude. Câest aussi difficile de parler plus fort que tout ce que lâon voit tous les jours sur les chaînes dâinfo. Franc-Tireur nâest pas dans une information généraliste et nâest pas là pour traiter toute lâinformation. On veut repérer des sujets qui nous semblent mériter une attaque, une critique et une mobilisation. On essayera dâêtre au plus près de lâactualité, mais on se sent libéré de cette contrainte. Le 1 ou Le Canard enchaîné sont des publications dont la périodicité hebdomadaire nâest pas un souci.
IN : comment la défense des valeurs de la République que prône Franc-Tireur, se conjugue ou se complète avec Marianne, autre hebdo dâactualité de CMI ?
C.B. : il y a déjà une différence de produit entre un news généraliste et broché, comme ce que jâai connu à LâExpress et notre manifeste de 8 pages sur papier journal. Tout chez nous est mobilisation !  En attaque de quelque chose qui nous inquiète ou en promotion de quelque chose qui nous enthousiasme, ce que lâon ne retrouve pas chez Marianne. Ce titre est aussi sur une ligne plus souverainiste que notre universalisme républicain, qui comporte une part européenne très forte. On est aussi attachés à une vision du social et de la solidarité plus sociale-démocrate que Marianne.
Quand BFM TV fait 3,8 millions de téléspectateurs avec le débat Zemmour-Mélenchon, cela met le doigt sur un courant politique, idéologique et peut-être électoral extrêmement profond
IN : Franc-Tireur veut lutter contre les idées de Zemmour. Comment conjuguez-vous ce combat en tant quâéditorialiste sur les chaînes dâinfos qui donne une caisse de résonnance au « phénomène Zemmour », peut-être au point de lâalimenter ?
C.B. : La caisse de résonance médiatique fait monter Zemmour, mais Zemmour a du succès et oblige les médias à se pencher sur lui. On ne peut pas pour autant accuser les médias dâavoir fabriqué le phénomène. Lâamplification est aussi un grand classique de la vie politique. Zemmour a surtout profité dâun vide créé par la chute de lâépidémie de Covid début septembre, quand les chiffres étaient moins alarmistes. Quand BFM TV fait 3,8 millions de téléspectateurs avec le débat Zemmour-Mélenchon, cela met le doigt sur un courant politique, idéologique et peut-être électoral extrêmement profond. Pour la suite de la campagne, selon les thématiques qui émergeront, tous les scénarios sont possibles… Lâun de nos numéros zéro renvoyait dos-à -dos Zemmour et Mélenchon en titrant « le couple infernal ». Ils essaient de nous faire croire dâun côté que les musulmans des banlieues sont un nouveau lumpenprolétariat révolutionnaire et, de lâautre, que nous sommes en guerre civile. Il faut que lâon attaque cette double mâchoire avec un combat éditorial, intellectuel et idéologique. En partant de ce que les politiques et les intellectuels, de ce quâils affirment, promettent sâils sont élus. Câest là -dessus que lâon va travailler.
Nos intellectuels et nos journalistes sont des gens qui interviennent dans des médias, écrivent des livres de manière isolée. Franc-Tireur est le journal qui rassemble les francs-tireurs
IN : Front Populaire, lancé en 2020 par le philosophe Michel Onfray et le producteur Stéphane Simon, et maintenant Franc-Tireur, sont des références politiques du passé. Manquerait-on dâidées pour incarner les valeurs politiques ou sociétales dâaujourdâhui ?Â
C.B. : un des noms de code du journal avait été Antidote mais, en ambiance de pandémie, cela faisait un peu bizarre⦠On ne manque pas dâidées mais la presse écrite sâinscrit dans une histoire, avec des gens avant nous qui ont mené des combats. On reprend le flambeau. On ne se compare évidemment pas aux résistants qui ont mis leur vie en péril mais, dans le journal Franc-Tireur (paru à la fin de la deuxième guerre mondiale, ndlr), il y avait déjà une part de nos valeurs dâaujourdâhui. On donne aussi un sens contemporain à la notion de franc-tireur, qui est ce soldat isolé qui mène un combat comme il peut. On voit nos intellectuels et nos journalistes sont des gens qui interviennent dans des médias, écrivent des livres de manière isolée. Franc-Tireur est le journal qui rassemble les francs-tireurs.
source : www.influencia.net