Beaucoup sont déçus. La nouvelle génération, les Gen Z sont parfaits dans leur vision du « monde dâaprès ». Ils vivent le climat comme une cause générationnelle, veulent équilibrer vie professionnelle et vie personnelle, pensent inclusion et, ce qui ne gâche rien, ils utilisent avec talent les réseaux sociaux pour le faire savoir. Mais ils attendent beaucoup des marques et ils ne sont pas du tout prêts à se passer de ces repères commerciaux. Des marques écoresponsables, certes, mais des marques ! Le désir de marques est bien là dans cette génération attentive au sens du monde. Sâils consomment en seconde main, câest bien souvent pour pouvoir se payer encore plus de beaux produits de ces grandes marques.
Depuis trente ans, jâobserve les évolutions sociétales vis-à -vis de mon métier, le branding : lâintérêt pour les marques de la population française reste stable, entre 55% et 65% selon la façon de poser la question et lâincidence de lâémotion éventuelle du moment.
Marques repères
Cela se comprend aisément quand on accepte de cesser de faire lâamalgame entre marque et capitalisme dit « sauvage ». La marque « est un repère mental » sur une offre, un marché. Il y a marque quand il y a choix et par conséquent difficulté à trouver le produit ou service correspondant le mieux à son besoin, son attente, son identité. Une marque de monopole ne sera jamais une vraie marque. EDF est désormais une marque, La Poste ou la RATP pas vraiment, en dépit des efforts des directions de la communication.
La marque commence à cerner le besoin dit primaire du consommateur. Câest ce quâon nomme le repère transactionnel. Dès lâantiquité, les potiers marquaient leur production dâune lettre de lâalphabet. Les consommateurs dâalors savaient que pour lâeau, lâamphore « brandée Alpha » allait bien et que pour le vin, câétait une autre lettre quâil fallait choisir. Depuis lâavènement du self-service, comment sây retrouverait-on, dans les rayons du magasin, si chaque produit ne portait pas un nom de marque ? Le sel est Cerebos, la farine est Francine⦠A priori, nul désir au sens érotique du terme, sauf si vous considérez la cuisine comme une partie essentielle de votre identité. Sinon, vous choisirez une MDD, une non-marque, ou peut-être tout de même Francine, car il restera toujours une petite crainte au fond de vous-même que « votre produit fini » ne soit pas parfait. Un repère, fût-il de simple notoriété, reste un repère.
Lâesprit humain a besoin dâun minimum de confort pour ne pas sombrer dans la schizophrénie. Les marques des catégories de produits qui nous importent nous offrent un confort psychique inégalé. Grâce à elles, on « trouve » dans chaque secteur une échelle de repérage. Celle-ci est fondée sur trois dimensions : la fonction transactionnelle (en ai-je pour mon argent ou pour le temps que je lui consacre ?), la fonction aspirationnelle (cette marque correspond-elle à mes valeurs, mes idées ou en tout cas ne les contredit-elle pas ?), la fonction identitaire (les gens qui achètent aussi cette marque pourraient-ils être mes « amis » ?).
Une marque doit dâabord être « utile » pour continuer dâexister. Mais utile à quoi, utile à qui, pourquoi et comment ? Si on désire le produit dâune marque, au point de lâacheter et de le payer plus cher quâun produit « sans marque », câest quâon en ressent le besoin. Techniquement, économiquement ou psychologiquement. Pour sâen servir et se servir de sa symbolique. Et pour servir notre propre personal storytelling1.
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On sâest longtemps interrogé sur la supériorité dâApple, dont les fans sont persuadés à la fois de la supériorité technique, du rôle de la marque dans le progrès de lâhumanité et du fait dâêtre des gens exceptionnels parce quâils ont compris cet apport par rapport aux possesseurs de simples smartphones. Il y a bien sûr de la croyance dans lâunivers des marques, comme dans la plupart des actes de notre vie fragile. Or il nây a ni désir sans croyance, ni croyance sans désir. Certaines marques sont transactionnelles et représentent « le meilleur rapport qualité/prix » ou « le meilleur rapport effort/résultat ». Elles sont à lâorigine du branding. De Bic à Google en passant par Pampers ou Amazon, la plupart des méga brands mondiales se recrutent dans cette catégorie. Ceux qui désirent des « faits », des chiffres et des preuves recherchent ce type de marques. Ils sauront défendre leur choix avec des arguments rationnels. Dâautres marques insistent sur leur apport « sociétal ». Désormais, les consommateurs exigent de plus en plus de mettre leurs actes en conformité avec leurs idées. On peut alors parler dâune fonction « aspirationnelle » des marques qui vantent dâabord leur « raison dâêtre » dictant leur activité.
Sauver la planète, la biodiversité, la diversité humaine est un enjeu planétaire que toutes les marques adoptent plus ou moins. Certaines se mettent en véritable symbiose avec leurs consommatrices et consommateurs pour « le bien, le good de tous ». Lâex-patron de Danone y perd son job, mais du lait végétal Oatly aux vêtements Balzac Paris en passant par des mouvements plus anciens comme celui de Dove, les marques montrent souvent lâexemple. Les consommateurs, toujours en quête de repères, voient quâelles le font (ou essayent de le faire) avec sincérité pour la plupart. Elles ont trop à perdre, côté réputation, pour tricher ! Ceux qui désirent la magie de lâémotion venue tout droit du combat des idées chercheront ces marques « engagées ». Ils sauront parler de « leur » marque avec la passion de lâavocat défendant la plus noble des causes.
Marques miroirs
Et puis il y a des marques qui nous rassemblent. Lâêtre humain a un besoin impérieux, un désir de vivre en communauté, en communion avec ses semblables. Mais avec qui précisément ? Les marques deviennent alors le miroir de cette humanité en quête dâelle-même. On sera H&M, Zara, Gemo, Hermès comme on roule (encore) en Porsche, BMW, Mercedes, Toyota, Volkswagen, Audi⦠même si on comprend que la plupart des composants des véhicules sont communs. « à quoi ressemble cet autre conducteur de la Land Rover Defender ou de cette Prius que je viens de mâacheter ? » La fonction identitaire est la plus importante des fonctions des marques. Dis-moi tes marques, je tracerai une carte de tes désirs ! Les étiquettes ne sont jamais neutres. Ceux qui cherchent « à se raconter et à se la raconter » aiment cette quête identitaire que leur procurent certaines marques. à commencer par Apple, bien sûr2, et son toujours actuel « Think different ». Nike et son « Just do it » ou LâOréal, « Parce que je le vaux bien ». Les marques ont compris que pour nous rassembler autour dâelles, elles devaient nous ressembler.
Ce besoin dâaffirmer sa différence, celle de lâindividu souverain, émetteur impérial sur les réseaux sociaux, est inhérent au concept même de marque, celui de la story. Un produit ne se raconte pas. Une marque parle dâelle-même et exprime les désirs de ses afficionados. Avez-vous assisté à un « focus group consommateurs » ? Elles et ils sont intarissables sur leur « expérience » avec telle ou telle autre marque quâils opposent à « la leur » comme des gladiateurs de lâantiquité lors de discussions souvent passionnées, véhémentes parfois. Comme si la légitimité de leurs désirs était contestée par un autre consommateur qui préférerait la marque adverse. Ãtes-vous Apple ou Samsung, muscat ou pineau, Nike ou Lacoste, Tik-Tok ou Facebook ?
Toute marque est récit. Il fait partie de notre récit intime. Tant que les humains auront de la tendresse pour eux, un désir dâêtre, ils auront besoin de se raconter pour exister. Ils auront alors ce désir de marques surtout si les éleveurs de marques savent les amener à devenir des marques mythiques, des représentations concrètes et symboliques, quasi universelles qui sâimposent dans le paysage de nos imaginations par leur récit, leur narratif souvent publicitaire. Développer une marque mythique, iconique revient à traiter dans une même marque les trois fonctions. La marque mythique semble irremplaçable, car son consommateur (et souvent la société) la pense utile, bienfaitrice de la société sur un point ou un autre et représentant une partie de lâhumanité. Air France, malgré ses déboires financiers, ne peut pas disparaître, clament en cÅur politiques et citoyens. Pendant le confinement, on faisait la queue en voiture pour aller chez McDo comme si on ne pouvait se passer ni de sa nourriture ni de son symbole. On a voulu tuer André, mais la marque centenaire résiste et les bonnes fées du désir continuent de se pencher sur son berceau.
Désir de marques ? Désir de soi, tout simplement. Tant que les humains auront le désir de vivre, les marques auront le droit de vivre. Car elles représentent ce qui est le plus spécifiquement « sapiens », lâespoir dâaméliorer sa perception de la vie. Les marques bien gérées, avec honnêteté et ambition, nâont aucun souci à se faire. Les êtres humains ont besoin de ces « petites mythologies contemporaines » comme ils ont besoin de lâair, de lâeau et de leur identité narrative pour survivre. Le verbe des marques fait partie de la conjugaison de la vie. Il manque définitivement à la pyramide de Maslow la fonction narrative dans les besoins fondamentaux à satisfaire avant toute autre considération ! Au début était le verbe.
source : www.influencia.net