La révolution numérique, les formes alternatives de programmation et les plates-formes audiovisuelles reconfigurent la question du générique. Confrontés à une concurrence toujours plus féroce, certains showrunners confient leur générique à des sociétés spécialisées dans une recherche esthétique et poétique en jouant avec les codes du récepteur pour en faire une expérience visuelle à part entière. Cette « hyperesthétisation » du générique prend son essor avec des graphistes tels que Kyle Cooper, Patrick Clair ou Angus Wall, qui semblent sâintéresser de plus en plus aux récepteurs en jouant avec leur interprétation.
Le format générique : une quête de sens
De Game of Thrones à Westworld en passant par les anthologies American Horror Story et American Horror Stories, les génériques changent de sens en fonction de lâactivité de visionnage des téléspectateurs. En effet, suivant leur degré dâavancement dans la série, le générique prend un nouveau sens à chaque lecture, au grès des nouveaux indices laissés dans lâépisode.
Ces génériques dit « évolutifs » agissent alors comme un outil de dialogue avec leur contexte diégétique en faisant écho aux événements narratifs de la série. En ce sens, ils marquent une évolution dans lâhistoire du format générique. En effet, la valeur informative, historiquement très usitée, semble se substituer de plus en plus à la valeur poétique dans les génériques actuels, comme lâexplique Hudelet :
« Ces génériques tentent à la fois dâaider les spectateurs à trouver le bon mode de réception, et dâaiguiser leur curiosité, de stimuler leurs sens et leur imaginaire. » (2009)
En cela, nous pouvons considérer le générique dâouverture de série TV comme une constante réflexive, amenant le spectateur à construire de façon imaginaire un puzzle esthétique et narratif en fonction de son degré dâavancement dans la série.
Dis générique, raconte-moi une histoire…
Si lâon prend lâexemple dâAmerican Horror Story (FX, 2011), le public se plaît en effet à reconnaître de façon ponctuelle, dans chaque épisode, des indices qui ont été utilisés dans le générique dâouverture,
« et par conséquent redécouvre ce même générique, au début de lâépisode suivant, dâun Åil nouveau, puisque ces plans se chargent de la valeur narrative, symbolique, ou esthétique quâils ont pu avoir dans leur contexte diégétique. » (Hudelet, 2009, 14)
Mais « le plaisir du fragment » fonctionne dâautant plus dans le cadre de cette série dâanthologie que le public sâamuse également à reconstituer les pièces dâun puzzle plus grand en comparant le générique dâouverture de la série, différent en fonction des saisons. Ici, nous voyons bien que la propriété du générique nâest pas uniquement dâamener le spectateur dans lâunivers de la série, mais de le rendre plus actif en engageant sa performativité dans lâinterprétation.
Kyle Cooper, le directeur artistique des génériques dâAmerican Horror Story, explique :
« Câest toujours intéressant pour moi quand les gens essayent de comprendre pourquoi une certaine scène est là et dâinterpréter ces choses. » (2017)
En plus de donner de nombreux indices sur la thématique de la saison, notamment grâce au choix de musique, chacun des génériques dâambiance construits par Cooper entretient le ton de la série par sa façon de décliner les signes suivant le genre horrifique choisi.
Plus encore, lorsque les showrunners décident de ne pas faire de générique pour une saison (câest le cas de la saison 6 : « Roanoke »), câest pour mieux immerger le visionneur, comme lâexplique une des productrices, Alexis Martin Woodall :
« La nature de ce que nous faisions avec Roanoke, câétait de rendre hommage à un genre de reality show terrible, exaltant sa propre personnalité. Arriver à briser ce mur, quand vous voyez lâimage dâouverture, âMy Roanoke Nightmareâ, avec le texte torturé, lâarbre angoissant et sanglant, et entrer ensuite dans une séquence dâouverture ? La question devient : que devons-nous dire au spectateur ? Est-ce que nous leur disons, ne croyez pas à âMy Roanoke Nightmareâ : ne vous inquiétez pas, câest juste âAmerican Horror Storyâ, ou est-ce que nous essayons vraiment dâêtre subversif ? » (2017)
Lâidée était donc de ne pas faire de générique dâouverture pour prolonger lâexpérience de âreality showâ, propre à la saison 6.

Cette quête de sens à travers le générique est dâautant plus prégnante dans le cadre de la nouvelle série dâanthologie American Horror Stories (FX, 2021), qui décline le même concept que sa grande sÅur mais sur le format dâépisodes autonomes. Le récepteur prend alors plaisir à scruter le générique de chaque épisode, qui fonctionne comme un révélateur diégétique en y dévoilant le thème horrifique.
Et lorsque le créateur et producteur des deux séries, Ryan Murphy, crée des liens entre elles, cela se répercute jusque dans le générique. Ainsi, celui du premier épisode dâAmerican Horror Stories (FX, 2021) met en scène un des personnages principaux de la première saison dâAmerican Horror Story (FX, 2011) en jouant sur la plasticité de son costume mythique : « The Rubber Man » (« Lâhomme en latex »).
De Westeros à Westworld : à la recherche d’indices
Si la série Westworld (HBO, 2016) est souvent comparée à la série Game of Thrones (HBO, 2011), leurs génériques dâouverture respectifs présentent tout de même un point commun : ils ont été produits par le studio Elastic, en étroite collaboration avec les créateurs de la série, pour offrir une immersion narrative dans un univers sériel hétérogène et complexe.
Tandis que celui de Game of Thrones (HBO, 2011) joue à merveille la carte informative du générique sous une forme évolutive, renouant avec un des premiers rôles de ce format de façon innovante, celui de Westworld (HBO, 2016) va plus loin dans cette quête dâhyperesthétisation, en multipliant les indices sur la saison en jouant avec le mouvement, la matière et la lumière. En effet, les images du générique sont là pour véhiculer lâimagerie du grand Ouest, certes de façon très symbolique et poétique à travers le reflet de lâiris dâun Åil, à la manière dâune réalité alternative. Patrick Clair explique :
« Ma première réflexion, avant dâavoir vraiment regardé la série, était que nous allions la visionner et trouver un moyen poétique de la représenter. »

Lors de sa première diffusion le 17 avril 2011 sur la chaîne américaine HBO, le générique de Game of Thrones (HBO, 2011) a instantanément marqué les esprits par son traitement spatial, voire géopolitique, de la série. En effet, ce dernier agit comme une boussole en nous orientant dans sa narration : avant même de rentrer dans la lecture de lâépisode, les lieux emblématiques du territoire fictif de Westeros (puis dâEssos) apparaissent à lâécran. Il nous invite à participer à la construction de sens en intégrant dès le générique les lieux qui seront mis en avant dans lâépisode, à lâaffût notamment dâéventuels changements liés aux conséquences géopolitiques des épisodes précédents.
Ainsi, lorsque dans lâépisode 9 de la saison 6, intitulé « The Battle of the Bastards », un événement narratif majeur a lieu, un changement sâopère dans le générique de lâépisode suivant, « The Winds of Winter », le dernier de la saison en question. On y remarque en effet que la bannière écorchée de Ramsay Bolton nâest plus accrochée aux remparts de Winterfell dans le générique de lâépisode 10 : câest alors une tête de loup blanc, emblème de la maison Stark, qui flotte à sa place sur les terres du Nord. Cet événement marque la fin dâun arc narratif majeur de la saison 6, qui se reflète alors dans le générique dâouverture.
La série Westworld (HBO, 2016) contient de nombreuses similitudes avec Game of Thrones (HBO, 2011), notamment une narration complexe et délinéarisée, et une séquence dâouverture nous amenant construire et déconstruire le sens des images au fur et à mesure de lâavancement des épisodes. Il suffit de regarder les différences entre les séquences dâouverture des saisons 1 et 2. Alors que le générique de la saison 1 se consacrait à dépeindre lâunivers conceptuel dans lequel on allait plonger durant 10 épisodes, celui de la saison 2 prend en compte les changements narratifs du dernier épisode la première saison, en insistant davantage sur les thématiques particulières qui traverseront les nouveaux épisodes. Ainsi, le générique de la saison 2 met en avant la thématique de la maternité, avec lâimage de cette femme androïde qui serre contre elle un bébé, sûrement le sien, renvoyant au personnage de Maeve Millay.
Cette scène constitue un indice majeur pour qui le repère, laissant supposer que ce personnage partira à la recherche de lâhôte programmé précédemment pour être sa fille dans cette seconde saison, et que cette saison abordera le thème du sentiment maternel suivant quâil est un instinct maternel ou un choix conscient pour lâhôte. Autre indice laissé à notre interprétation : le chapeau noir (celui de William dans la série), qui tombe vers un halo lumineux, laissant présager une possible évolution de William.
Du générique purement informatif au générique dâambiance, les artistes sâemparent progressivement de cet espace pour établir une dialectique avec le public, qui joue un rôle de plus en plus actif dans le déroulement des narrations.
Frédéric Aubrun, enseignant-chercheur en Marketing digital & Communication au BBA INSEEC – Ãcole de Commerce Européenne, INSEEC U.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire lâarticle original.
source : www.influencia.net