Alors que chaque nouvelle catastrophe naturelle s’accompagne inéluctablement d’une inaction politique évidente en matière de législation sur le climat, de plus en plus de citoyens occidentaux se demandent ce quâils pourraient mettre en place, à leur humble niveau, pour faire bouger les choses. LâHistoire regorge de situations similaires ou des citoyens ordinaires, se sentant acculés par un sentiment dâinjustice, sont passés à l’action pour faire pression sur leurs gouvernants. Nous pourrions citer lâexemple du mouvement paysan de 1999 qui, menée par un José Bové des grands soirs, avait choisi de protester contre l’invasion de multinationales en démantelant brique par brique un McDo installé dans lâAveyron. Encore plus parlant, les informations rendues publics en 2013 par Edward Snowden, au prix de sa propre liberté, sur la surveillance généralisée et anticonstitutionnelle de leurs propres administrés par la majorité des gouvernements occidentaux.
Mais câest bien face à lâurgence climatique et à lâéco-anxiété quâelle suscite chez les plus jeunes â 75% des 16 à 25 ans jugent ainsi lâavenir « effrayant », selon une étude menée par The Lancet Planetary Health â que le concept de désobéissance civile a trouvé un second souffle. Le 25 janvier dernier, le Yale Program on Climate Communication publiait une nouvelle étude qui dressait les aspirations de la population américaine face à cette nouvelle forme de militantisme. La question était posée en ces termes : « êtes-vous prêts à participer à une forme de protestation non violente pour exiger une action contre le réchauffement climatique ? ». Lâétude en question s’appuyait sur des recherches antérieures mises en place par le même programme de recherche de lâuniversité américaine, qui avaient notamment révélé que la population américaine peut être divisé en six « publics » distincts caractérisés par les positions suivantes sur le changement climatique : Alarmé, inquiet, prudent, désengagé, dubitatif et dédaigneux.
Une population en ordre de marche
Neuf pour cent du groupe des « alarmés » â à savoir les plus ardents défenseurs des politiques climatiques et les plus convaincus que le réchauffement de la planète se produit, qu’il est causé par l’homme et qu’il constitue une menace urgente â ont répondu qu’ils participeraient « certainement » à une forme de désobéissance civile environnementale si un être aimé, ou simplement quâils respectent, leur demandait de le faire. Parmi toutes les personnes interrogées, y compris en incluant celles et ceux des groupes « prudents » et « désengagés », environ 4,8 % ont exprimé la même envie.
Je vous entends déjà broyer du noir : oui, à première vue, ces chiffres ne sont pas très encourageants. Cependant, ils prennent une toute autre ampleur à la lumière d’un concept appelé « règle des 3,5 % ». Après avoir observé des centaines de manifestations au cours du 20ème siècle, son auteur, la politologue Erica Chenoweth, avance quâil suffirait quâau moins 3,5 % de la population d’un pays participe activement à une protestation non violente pour quâelle obtienne le changement politique tant désiré. Une théorie si influente que le groupe très médiatisé de défense du climat Extinction Rebellion la cite dans sa déclaration de mission. En bref, si l’on se fie à cette enquête, il semble que la population américaine ait atteint le seuil de militantisme nécessaire pour générer un changement politique majeur.
Une notion à nuancer
Pourtant, de nombreux observateurs fustigent déjà lâimpact supposé de la désobéissance civile sur les choix politiques des gouvernants⦠sans que lâon puisse réellement leur donner tort au vu des résultats obtenus. Tous ces militants, quâils soient dâExtinction Rebellion aujourdâhui, ou des Gilets Jaunes et dâOccupy Wall Street hier, ont choisi dâexercer ces nouvelles formes de luttes, plus horizontales, inclusives et participatives, pour se dégager des partis politiques et des syndicats quâils jugeaient corrompus et engrainés par la seule quête du pouvoir. Ils nâont que faire des leaders médiatiques â par peur de la personnalisation â, des organisations hiérarchiques â pour ne pas sombrer dans lâautoritarisme â ou du jeu électoral â par crainte de se perdre idéologiquement â. Mais cette « quête de pureté », comme lâont décrit Benoit Bréville et Serge Halimi, journalistes au Monde Diplomatique, a ses limites. Le mouvement Occupy Wall Street, par exemple, après avoir rassemblé des millions de personnes dans 952 villes à travers 82 pays, nâa finalement rien obtenu. Tout comme le mouvement des Gilets Jaunes qui sâest essoufflé progressivement après avoir été le plus long mouvement social observé en France.
Comme le résumait, toujours dans les colonnes du Monde Diplomatique, Hicham El-Alaoui, cousin germain du roi Mohammed VI, cette fois au sujet des « printemps arabes » : « Les jeunes qui guidaient ces mouvements (â¦) rejetaient toute forme dâorganisation verticale. Pourquoi ? Après avoir vu des décennies de corruption, ils se méfiaient du système politique, le jugeaient sale, corrompu. Pour conserver leur idéalisme, il leur fallait rester purs. (â¦) Mais vous avez beau faire pression en rassemblant des gens dans la rue, si cette pression ne trouve pas de traduction dans le système politique, vous êtes marginalisés ». Choisir la voie des urnes et du compromis pour faire (sur)vivre ses idées ? Vous avez 4h.
source : www.influencia.net