Le vendredi 3 septembre dernier, le Congrès Mondial de la Nature organisé par lâUICN â Union Internationale pour la Conservation de la Nature â démarrait en grande pompe dans la cité phocéenne. Dans un contexte dâérosion sans précédent de la biodiversité près de 15 000 représentants du monde scientifique, de gouvernements, de collectivités locales, dâONG, dâagences publiques, et même de multinationales, cherchent à faire émerger des solutions concrètes pour la conservation de notre planète. Pour de nombreux médias qui le couvrent, cet événement qui se clôturera le 11 septembre prochain est « le plus important en matière de préservation de la nature que la France nâait jamais accueilli », et même « le plus grand événement mondial jamais organisé sur la biodiversité ».. Pourtant, de nombreux activistes ont défilé, pancarte à la main, dans les rues de Marseille pour pointer les causes réelles de la crise climatique : la surexploitation des ressources naturelles et lâhyperconsommation, favorisées par un système économique néo-libéral. Cette manifestation était le dernier acte dâun important contre-congrès organisé en faveur des droits des peuples autochtones.
Rencontre avec Fiore Longo, la directrice de Survival International France, un des instigateurs de ce contre-congrès.
IN : Comment vous êtes-vous réparti les rôles avec, Rainforest Foundation UK, Survie ou encore Attac dans la tenue de ce contre-congrès ?
Fiore Longo : Les trois structures à lâorigine de cet évènement sont Rainforest Foundation UK, Minority Rights Group, et nous, Survival International. Les autres organismes que vous avez cités sont nos partenaires et nous soutiennent, par exemple en communiquant autour de lâévénement à leurs adhérents. Cela sâexplique par le fait que nous sommes les trois seuls organismes basés en France, avec du personnel qui parle la langue, et donc plus aptes à gérer une partie logistique dâautant plus complexe à cause des mesures sanitaires en vigueur. En ce qui concerne le choix des intervenants, la plupart des participants travaillent à nos côtés depuis bien longtemps, mais nous avons également publié un appel sur internet pour inciter toutes les personnes susceptibles de bien vouloir partager leur expérience à nous rejoindre. Même moi qui travaille sur le sujet depuis des années, jâétais étonnée de la quantité de répondants qui se déclaraient victimes, dans leur terre, de la conservation forteresse et qui étaient prête à se soulever contre lâUICN. Ce qui était à la base une petite aventure sâest rapidement transformée en grand mouvement collectif.
IN : Dâun point de vue historique, à quand remontent selon vous les premières manifestations de cette vision ethnocentrée de la conservation de lâenvironnement ?
F.L : Cela remonte à lâinstauration des premiers parc naturels
aux Ãtats-Unis, vers la fin du 19ème siècle. Les mouvements conservationnistes américains, notamment portés par Henry Thoreau, se basaient, et câest toujours le cas, sur lâidée que la nature doit rester vierge. Yellowstone et Yosémite ont ainsi été fondés sur lâexpulsion des communautés amérindiennes qui y vivaient. Ce modèle a ensuite été importé par les Anglais et les Français dans la conquête de lâAfrique, avec en toile de fond la deuxième révolution industrielle : plus on détruisait notre environnement, plus on fantasmait sur lâidée dâune nature africaine intacte. Pour les colons, les Africains ne savaient pas comment protéger leur territoire. Il fallait donc les en priver, notamment pour la livrer, en toute discrétion aux chasseurs occidentaux. Tous les décrets coloniaux de lâépoque sont ainsi basés sur le racisme. Il fallait tout simplement sauver lâAfrique des Africains. Encore plus grave, beaucoup dâoccidentaux étaient persuadés, sans aucune preuve, que les peuples autochtones avaient détruit plusieurs forêts dans des territoires qui nâen avaient jamais connu. Un autre mythe qui est né à cette époque est celui des forêts vierges. Je déteste ce terme de « forêts intactes » de tout contact humain. En réalité, elles ont toutes accueilli, ou accueillent encore, des populations, mais celles nây habitent tout simplement pas de la même manière que nous, et il est donc plus difficile de les recenser. Les civilisations façonnent la terre depuis la nuit des temps, mais certaines avec plus de bon sens que dâautres.
IN : LâUICN explique vouloir faire de la sensibilisation à lâécologie lâun de leurs axes majeurs. Comment jugez-vous cette démarche ?
F.L : Vouloir éduquer les gens à cette vision de lâécologie est totalement contre-productif. On perd facilement 10 ans pour mettre en place des mesures qui ne résoudront en rien la situation. La protection de la biodiversité ne relève pas uniquement du domaine biologique, mais également dâune remise en cause du modèle social, économique dans lequel nous vivons. Sans cela, tout nâest que jardinage.
IN : En prenant lâexemple du laxisme de Jair Bolsonaro face aux incendies qui calcinaient lâAmazonie il y a 2 ans et de la volonté dâEmmanuel Macron de promouvoir un droit dâingérence environnemental, quelle politique préconisez-vous lorsque les gouvernements des territoires les plus en danger ne semblent pas prêts à les protéger ?
F.L : Parler de politique environnementale sans évoquer lâéconomie me parait toujours très bizarre. Par exemple, le président Macron fait cette déclaration haute en couleur, mais cela ne lâempêche pas de négocier en catimini son ralliement à lâaccord UE-Mercosur. Je suis née en Amérique Latine, donc oui, pour moi Bolsonaro est un criminel. Mais il ne faut pas oublier que lâexploitation des ressources des pays du Sud sert in fine à nourrir les populations des pays du Nord. Le plus important est dâéduquer les gens à mieux consommer. Comment sauver lâAmazonie sans remettre en cause les quantités énormes de Soja qui sont importées depuis des années vers lâEurope ? Cette déclaration est encore une fois lâexemple dâune vision moralisatrice à la française, comme si la France et ses entreprises nâavaient en rien participé à lâexploitation des ressources naturelles en Afrique. Et ce nâest quâun exemple parmi tant dâautres.
IN : Avec le recul, la crise sanitaire nâaura-t-elle pas été un mal nécessaire pour réveiller la conscience écologique de beaucoup de citoyens ?
F.L : Il y a beaucoup de personnes qui ont commencé à évoquer la préservation de lâenvironnement suite à la pandémie, mais une nouvelle fois de manière dépolitisée. Lâindustrie de conservation a par exemple continué de prétendre que le réel danger venait de la manière de consommer de certaines populations locales, alors quâelle continuait elle-même à promouvoir la surexploitation laitière. Encore une fois, cela révèle un racisme évident quâil est primordial de combattre. Le Covid a permis de se questionner, certes, mais les réponses nâétaient souvent pas les bonnes, notamment à cause de la désinformation orchestrée par certains médias.
IN : Concernant le dernier rapport publié par le Giec, pensez-vous, comme certains activistes, que ces publications alarmistes successives sont finalement contre productives, que lâexpertise mobilisée est souvent inachevée et quâelle ne sert quâà donner aux responsables politiques lâillusion dâagir?
F.L : Je pense que savoir la vérité est toujours utile. Surtout que ce nâest pas au Giec de donner des solutions mais aux politiciens. Le principal est dâavoir des données statistiques pour ensuite inciter les personnes aux commandes à prendre les bonnes décisions. Personnellement, je reste optimiste, sinon je ne pourrais pas faire ce que je fais. Mais il est vrai que présenter le changement climatique comme la pire menace pour lâhumanité, nous empêche de comprendre que le plus grand danger est justement notre modèle économique actuel. Cela ne fait quâinciter les nouvelles générations à la peur.
IN : Avez-vous eu des retours de lâUICNÂ ?
F.L : Avant même la tenue de notre congrès, notre idée était de publier un grand manifeste de Marseille. Comme par hasard lâUICN prévoit désormais la même chose. Oui, nous savons de source sûre quâils sont au courant de notre action et quâon sâest fait remarquer. Mais vu les intérêts économiques énormes qui sont en jeu, même si on a gagné la bataille, on nâest pas près de remporter la guerre. Cependant, on a donné le signal quâune résistance sâorganisait et quâune alternative crédible était possible.
source : www.influencia.net