Avec 5h34 passées en moyenne par jour sur les réseaux sociaux en France et presque 5 milliards dâhumains connectés dans le monde, la vision dâune génération abrutie et de bout en bout superficielle expliquerait pas mal de dérèglements de notre société. Mais les personnes qui en sont convaincues connaissent-elles Ãtoiles et la Nuit de la culture sur Twitch ? Savent-elles à quel point le hashtag #BookTok est puissant ? Se sont-elles abonnées à Nota Bene sur YouTube ?
Cela peut être à la fois terrifiant et rassurant de faire des généralités sur les réseaux sociaux et dâavoir un a priori bien défini sur lâusage et lâimpact négatif propres à chaque plateforme sur les comportements de la jeune génération. Mais ce serait surtout lui manquer de respect. Cela consisterait à la stigmatiser et penser (bêtement) quâelle nâutilise ces formidables outils dâaccès à lâinformation et à la connaissance quâà des fins de divertissement. Ce serait penser que combler lâennui en lançant telle ou telle plateforme est forcément nocif pour elle. Pourtant, la dimension culturelle de ces plateformes, leur utilité au quotidien pour accroître sa culture générale ou développer un centre dâintérêt est, à lâéchelle des médias, sans commune mesure.
La dimension culturelle de ces plateformes, leur utilité au quotidien pour accroître sa culture générale ou développer un centre dâintérêt est, à lâéchelle des médias, sans commune mesure
Libre culture
Dâabord, il y a la liberté de choix, chacun sâabonnant à ce qui lâintéresse. La digitalisation de lâécosystème de communication des marques, des médias, des musées comme des institutions gouvernementales culturelles les aura toutes forcé depuis une dizaine dâannées à obéir à ces usages pour continuer à être considérées voire à exister. Tyrannique, certes, mais câest le postulat de départ.
Commençons par un exemple des plus évidents : la chaîne de télévision franco-allemande Arte (cf. page xx) est sur YouTube, et câest sur cette plateforme, intrinsèquement sociale, que sa consommation a explosé durant le premier confinement. Les documentaires de la chaîne y atteignent aujourdâhui régulièrement le million de vues en quelques semaines, et la chaîne â sur YouTube â devient désormais un label de qualité de lâinformation sur la plateforme pour les jeunes.
Du côté des musées, le Tate londonien, lui, est déjà sur TikTok à faire la promotion dâune nouvelle exposition avec des créateurs GenZ, ou la pédagogie dâun courant ou dâune technique artistique à lâaide de vidéos courtes, clippées, tutorialisées sur fond de musique tendance. Mieux encore, certains musées se transforment, invitant des artistes â populaires jusquâalors simplement dans leur propre galerie virtuelle quâest leur feed Instagram â à se produire in real life (IRL), en vrai dans un vrai musée (on pense ici au MIMA Museum* à Bruxelles). Et toujours à propos des musées, sachez que Nota Bene, par exemple, qui compte plus de deux millions dâabonnés sur YouTube (en avril 2022) et est ainsi devenue la figure française majeure de la verticale histoire de la plateforme, nâhésite pas à répondre aux sollicitations de musées qui souhaitent gagner en visibilité en sponsorisant un épisode en particulier (le musée de Picardie ou le musée Champollion en Occitanie).
Sur Twitch, autre exemple â une plateforme peut-être encore plus obscure pour ceux qui jugent les jeunes et leurs réseaux sociaux â la référence du talk-show, câest Popcorn, un format hebdomadaire assez semblable dans sa forme à une émission de télévision, mais avec un chat en live en plus et des streamers-animateurs. Ainsi, de temps à autre, peut-on y voir Ãtoiles, streamer spécialisé dans la culture sur Twitch avec sa fameuse Nuit de la Culture, sâinviter pour faire, lâespace dâune chronique, de la pédagogie en une vingtaine de minutes sur le nombre dâor ou lâorigine du braille. Les réactions sont toujours les mêmes dans le chat : « quel crack », « trop intéressant », « on apprend facilement ».
De nombreux jeunes ne cessent de se recommander mutuellement de nouveaux livres à lire sur TikTok, déclenchant des ruées de jeunes en librairie.
Culture du livre
Ensuite, il y a les phénomènes comme le hashtag #BookTok. Il est essentiel dâen parler. En 2021, Emmanuel Macron fait de la lecture une « Grande cause nationale », un projet sur un an pour redonner le goût de lire et de la littérature en particulier aux publics jeunes. Les courbes de consommation du support livre chutent, le CNL sâen empare évidemment. Sauf quâen parallèle, un phénomène organique a lieu. Il est puissant, viral et exponentiel : il sâobserve autour dâun hashtag #BookTok, et de créateurs, les Booktokeurs et Booktokeuses, organisés pour répondre à cette cause nationale, mais sur TikTok.
En effet, sur la plateforme, de nombreux jeunes ne cessent de se recommander mutuellement de nouveaux livres à lire. Ils déclenchent des ruées de jeunes en librairie avec la promesse de vivre telle ou telle émotion en sâattaquant au Chant dâAchille de Madeline Miller ou en se lançant à corps perdu dans lâÅuvre dâHaruki Murakami. Câest alors quâon voit les PLV en librairies changer ; un coin « Vu sur TikTok » devient essentiel pour créer du trafic en magasin ou déclencher lâachat. Les jeunes dâeux-mêmes critiquent des Åuvres de littérature, partagent leurs émotions et donnent à leurs pairs de nouvelles raisons, sûrement plus efficaces que celles du gouvernement, de se mettre à la lecture. De ne pas avoir peur, voire de ne pas sâarrêter à leurs a priori, pensant à tort quâil sera plus facile de rire ou de pleurer devant la dernière création originale de Netflix quâen lisant un bouquin de 300 pages. Ils se prouvent à eux-mêmes que câest faux, que la lecture, câest bien, et ils le font sur les réseaux sociaux.
Cette génération va bien, quâon se rassure, elle est elle aussi en quête de savoirs et dâenrichissement culturel. Câest prouvé, les réseaux sociaux aident en partie cette dite GenZ à assouvir ce besoin.
Portes dâentrée culturelles
Et si suivre Charli DâAmelio sur TikTok (comme 140 millions dâautres abonnés) et tenter de reproduire ses chorégraphies les plus techniques était aussi une porte dâentrée vers lâunivers de la danse et vers la découverte de nouvelles disciplines, du modern jazz à la danse contemporaine ? Et si se voir recommander les réalisations spectaculaires de pâtisserie de Cédric Grolet dans son Pour toi pouvait être le point de départ dâun intérêt pour la gastronomie française et dâune éventuelle vocation ? Et si les réseaux sociaux ne devenaient pas soudain plus rassurants ?
Un homme politique, ex-journaliste, a qualifié le rap de « sous-culture dâanalphabètes »⦠Cela doit être inquiétant pour lui de voir que ce courant musical est aujourdâhui le plus écouté dans le monde, particulièrement par la jeune génération ! Ceux qui à lâinverse sây intéressent, lâécoutent et le consomment, ceux qui considèrent le rap comme une culture à part entière utilisent quotidiennement les réseaux sociaux pour sâen nourrir et apprendre la science qui le compose. Ils cliquent les vidéos du Règlement sur YouTube qui dissèque toutes les références culturelles faites par tel ou tel artiste, ils vont sur Twitter pour comprendre la rythmique de la trap, discuter des sonorités caractéristiques de la drill, sâinitier au solfège avec Ysos, toujours sur YouTube, ou encore tentent de déchiffrer lâart de la multisyllabique avec Dissect Podcast sur TikTok par exemple. Ils sâinitient à tous ces arts, de la percussion à la poésie, à partir dâun single dâAlpha Wann et, encore une fois, grâce aux réseaux sociaux.
Sâenrichir culturellement est une des raisons principales de la consommation des réseaux sociaux chez les jeunes. Les marques le savent déjà , câest pourquoi elles intègrent des formats en réponse à ce besoin fondamental à leur ligne éditoriale. Dior utilise ainsi le format de crash course sur TikTok pour fournir une analyse des références culturelles des créations de son directeur artistique Dior Homme Kim Jones en plus de la démonstration de son savoir-faire. Supreme ne collabore pas avec une autre marque ou un artiste comme Damien Hirst ou Ralph Steadman sans partager leur « wiki » sur Instagram avant de sortir les produits. Les marques sâéditorialisent et sâadaptent à lâexigence dâune audience jeune, quâelles les nourrissent culturellement, câest pour ça quâils suivent.
Cette génération va bien, quâon se rassure, elle est elle aussi en quête de savoirs et dâenrichissement culturel. Câest prouvé, les réseaux sociaux aident en partie cette dite GenZ à assouvir ce besoin. Si la forme peut paraître étrange à première vue, parfois hystérique sur TikTok ou militante sur Twitter, le mouvement dâenrichissement mutuel est intact, de temps en temps il devient même viral donc plus puissant que jamais. Faisons-leur confiance, ils sont loin dâêtre cons.
*Le Millennium Iconoclast Museum of Art est un musée dâart urbain et de la culture 2.0 situé à Molenbeek-Saint-Jean en région bruxelloise.
source : www.influencia.net