The Good : Comment est né le Grand Défi ?
Jérôme Cohen : Le Grand Défi est né dâune discussion avec Virginie Raisson-Victor. Nous avions été assez impressionnés par la montée en puissance des délégués de la Convention Citoyenne pour le Climat et nous sentions le besoin dâadapter cette démarche démocratique et dâapprentissage au monde économique et à celui de lâentreprise, câest ce que nous avons fait. Nous avons adapté le processus démocratique à la question des entreprises, et avons Åuvré à la bonne acceptation des propositions qui en découlent. Câest une des raisons pour lesquelles nous avons regroupé une communauté, avec une centaine de partenaires, dâinstitutions et organisations dédiées à la transition, afin quâils co-portent et participent au déploiement des mesures qui émergeront du Grand Défi.
TG : Le Grand Défi, câest quoi exactement ?
J.C : Câest un process en trois étapes pour faire émerger 100 propositions en faveur de la transition écologique. Dans un premier temps, nous avons ouvert une Grande Consultation pour prendre le pouls des entreprises sur la question de la transition. Nous voulions connaître leurs freins, leurs besoins et leurs éventuelles propositions. Le but étant aussi de préparer le terrain pour le travail de Grande Délibération qui a commencé à Nantes début juin. Cela marque le début de la phase 2, au cours de laquelle les entreprises tirées au sort vont se retrouver 6 fois pour travailler progressivement à lâémergence de ces 100 propositions à lâaune de lâaudition dâexperts, de grands scientifiques du GIEC, dâéconomistes spécialistes de lâentreprise pour les présenter en décembre à lâAcadémie du Climat. Ces propositions seront discutées, arbitrées et choisies avec lâensemble de la communauté (délégués, partenaires, marraines). La dernière phase sera celle de la Grande Diffusion. Nous porterons et déploierons ces mesures à la fois auprès de nos partenaires, et des sphères politiques et économiques.
TG : Quel type de propositions émergeront du Grand Défi ?
J.C : Ces mesures sont créées pour faire évoluer les business models des entreprises, leur gouvernance. Elles seront plus transversales dans lâéconomie. On souhaite éviter une liste à la Prévert. On veut que ce soit des mesures fortes, applicables, ambitieuses et quâelles aient un pouvoir transformatif de lâéconomie et de lâentreprise. On ne veut absolument pas que ces mesures soient superficielles. Notre travail est dâapporter de la connaissance aux délégués mais câest aussi de leur transmettre cette ambition qui est la nôtre et de ne pas se satisfaire de demi-mesures. Le but est dâengager la communauté économique et d’entraîner le plus de personnes possibles quelles que soient leurs pensées premières. Lâidée nâest pas de travailler avec la petite communauté des âdéjà convaincusâ parce que sinon on n’avance pas. Le Grand Défi est une aventure démocratique et participative appliquée au monde économique. Câest ce qui fait sa force.
TG : Comment les délégués ont-ils été sélectionnés ?
J.C : Nous les avons tirés au sort dans une base de lâINSEE constituée de 120 000 entreprises. On a ensuite envoyé une lettre ou un email à 16 000 dâentre elles en leur disant de nous rappeler si elles étaient intéressées. 150 ont été choisies. Ensuite, chacune a envoyé un dirigeant, un salarié ou un actionnaire. Nous voulions que tous les secteurs dâactivité, tous les territoires, toutes les tailles dâentreprises, toutes les dimensions juridiques soient représentés. Câest aussi grâce à cette diversité que les mesures auront encore plus de légitimité. Ce qui nous intéresse surtout câest de connaître les freins et de comprendre si les réponses sont différentes selon le genre de la personne qui répond, son âge, son secteur dâactivité, son niveau de responsabilité.
TG : Quelles sont les thématiques abordées ?
J.C : Nous sommes concentrés sur la transformation environnementale avec naturellement une dimension sociale puisque nous ne pourrons éviter le sujet de la conséquence des limites planétaires. Il aurait été vain de traiter une transition systémique. Nous travaillons beaucoup sur la question de la biodiversité. Elle est déjà suffisamment complexe et inconnue par le monde de lâentreprise.
TG : Comment sâest passée la première réunion plénière à Nantes ?
J.C : Il y a dans le lot des personnes très connaisseuses des sujets environnementaux, et dâautres non. Il était nécessaire de mettre à niveau ceux moins experts. Nous avons fait venir un chercheur du CNRS sur la question écologique, Philippe Grandcolas, une membre experte du GIEC, un économiste, Bernard Leca, de lâESSEC Business School. Ces personnes sont venues poser le constat. Nous avons fait appel à des scientifiques pour que leurs paroles ne soient pas questionnables. Nous voulions que cette première session serve à faire communauté et à se saisir de la problématique. Nous avons créé le cadre, rassemblé les énergies ; maintenant câest aux délégués de sâemparer des sujets, de montrer le niveau dâambition quâils veulent adopter. Nous sommes juste là pour faciliter, soutenir le travail de réflexion.
TG : Pouvez-vous nous parler des 5 autres réunions ?
J.C : à Lille (en juillet), nous commencerons à travailler sur la question de lâimpact, du rôle et de la responsabilité des entreprises. à partir des sessions 3, 4 et 5 nous allons faire émerger progressivement les propositions en les nourrissant de temps de réflexion. La dernière session sera à lâAcadémie du Climat à Paris et sera dédiée au choix des propositions finales.
TG : Comment lâéquipe est-elle structurée ?
J.C : Le projet est porté par une association dâintérêt général. Il est financé par quelques partenaires institutionnels, des entreprises qui ont choisi de nous soutenir et dont le sujet leur paraissait essentiel. Nous ne sommes pas financés par une grosse structure étatique. Virginie et moi-même portons, dirigeons le projet et en sommes les portes-paroles. Nous sommes entourés par une petite équipe de salariés. Il y a une trentaine de bénévoles, âles engagésâ qui travaillent sur tous les volets du programme depuis sa création, sa communication, son organisation. Ils sont aussi les animateurs des temps dâintelligence collective que nous organisons pendant les sessions. Nous avons par exemple formé une dizaine de bénévoles qui vont passer deux jours avec nous à Lille pour animer des ateliers spécifiques sur la biodiversité.
TG : Avez-vous adopté des processus dâinnovation dans les modes de fabrication des décisions ?
J.C : Nous travaillons avec Bluenove, un acteur de lâintelligence collective en ligne pour la consultation. Nous allons travailler aussi sur le process dâarbitrage, de consensus autour des propositions. La question du choix de lâarbitrage est beaucoup plus complexe.
TG : Comment vous positionnez-vous par rapport aux autres démarches collectives dâentreprises engagées, comme la Convention des Entreprises pour le Climat par exemple ?
J.C : La CEC accompagne la transition des dirigeants de 150 entreprises et de leurs propres trajectoires. Câest tourné vers les entreprises participantes. Notre volonté est de travailler sur la transformation des entreprises et du monde économique en général. On verra bien si à la fin on se rejoint et comment. Les autres mouvements comme le C3D, Impact France ou encore la Communauté des Entreprises à Mission sont partenaires de lâinitiative. Ils interviennent, vont pousser leurs propres propositions auprès des délégués. Ce sont des copains de lutte. Lâidée est aussi en rassemblant ces différents mouvements de donner un effet de résonance à ce qui existe déjà et que cela soit surtout porté par les entreprises elles-mêmes.
Cette interview a d’abord été publié dans The Good
source : www.influencia.net