INfluencia : on ne compte plus les campagnes aux multiples prix dont vous êtes l’initiateur (LâOurs de Canal+ notamment). Comment gère-t-on l’étiquette de faiseur de « tubes » en pub? N’est-ce pas parfois lourd à porter?
Jean-Christophe Royer : bon, déjà , soyons honnêtes, elles ne sont pas si innombrables. Quant à mâen attribuer la paternité ou lâinitiative, Christophe Caubel, Gilbert Scher, Ãric Astorgue, Stéphane Xibérras, Patrice Dumas, et quelques autres pourraient y trouver à redire. Donc, quand on nâoublie pas ça, cette « étiquette » est assez facile à gérer et, comme on est plusieurs à la porter, ça va, ce nâest pas trop lourd.
IN : ces deux dernières années ont été chaotiques. Vous avez quitté BETC pour vivre de nouvelles aventures⦠Audacieux par les temps qui courent⦠Rosbeef, Buzzman, DDB. Ils nâont pas bon goût dans ces agences, où ils vous prenaient pour un sauveur ?
J-C. R. : pour le moins chaotique, câest vrai. Depuis BETC, il y a eu du mauvais choix, du bon choix malheureux et du COVID. Je ne crois pas avoir jamais été attendu comme le sauveur, dâune part, parce quâil nây avait rien à sauver et dâautre part jâimagine mal Georges (Buzzman), Alexander (DDB) ou Franz et David (Rosbeef) se dire : « Appelons vite Royer, sinon, on va être dans une merde noire. » La réussite, dans ce métier, est due à une conjonction de talents et de personnalités. Par-contre, couler une boite, je pense que, tout seul, jây arriverai peut-être. ð
IN: vous évoquez souvent le malentendu qu’il y a aujourd’hui entre les diverses fonctions (DC, créatifs, commerciaux), un peu comme si tout avait changé. Pourriez-vous exposer ce phénomène. Et à quoi est dû selon vous cette nouvelle donne?
J-C.R. : Je trouve surtout quâil y a de plus en plus de porosité entre les différents métiers dans les agences. Je sais que certains favorisent ce type de management très « inclusif » mais je continue à penser que si chacun se concentrait sur son cÅur de métier cela favoriserait grandement la qualité. Bien sûr, ça ne veut pas dire quâil faille que chacun reste dans son coin, il faut de lâéchange, de la confrontation. Mais quand je vois des créatifs à qui on demande de trouver des idées dâoffres commerciales, des commerciaux qui écrivent des voix-off de film ou des body-copy, je trouve ça dommage.
IN : la pub est aujourd’hui orpheline de ce que vous nommez « les écoles », qu’entendez-vous par là , et comment l’expliquez-vous?
Â
J-C.R. : ça va encore faire le vieux qui dit que câétait mieux avant, mais bon…. Il y a quelques années, il y avait des agences qui avaient, -ceci étant souvent dû à leurs fondateurs-, une « philosophie » particulière de ce que devait être la pub et plus précisément la création. Quand on était créatif, on voulait aller chez CLM/BBDO, DDB, BDDP (TBWA) et quelques autres parce que chacune de ces agences avaient une façon différente dâaborder le travail créatif. Ces agences ont « fabriqué » des générations de créatifs qui en ont « fabriqué » dâautres, jâai moins lâimpression que ce soit encore le cas aujourdâhui. Maintenant, ce sont les écoles de pub qui « fabriquent » les jeunes créatifs, un peu moins les créatifs eux-mêmes. Dans les années 90, 2000, on était attaché à un créatif senior qui nous permettait dâacquérir une personnalité créative, pour la « technique », ça se faisait sur le tas. Il y a encore quelques agences qui fonctionnent comme ça, mais, je trouve quâelles se font plus rares.
Jâai eu la chance dâavoir commencé avec Gabriel Gaultier quand il était créa chez DDB. Il ne mâa jamais appris à écrire une accroche, à tomber un script ou un message radio. Il mâa appris à le surprendre, à ne pas me contenter dâun truc bien et à me prendre des taquets qui mâont fait le cuir, comme on dit. Je le regardais bosser, prendre des briefs, discuter avec les commerciaux, les planneurs, réfléchir, les contredire, trouver des solutions créativesâ¦
IN : du coup quelle est pour vous la définition d’un « bon directeur de création »? Quel doit être son rôle?
Â
J-C.R. : déjà , un bon DC nâest pas forcément un créatif bardé de récompenses. Câest quelquâun qui sait faire confiance aux créatifs avec qui il travaille, qui est capable de faire siennes leurs idées non pas pour sâen attribuer le mérite mais pour les aider à les améliorer et à en extraire le meilleur. Quelquâun qui emmène les créatifs à explorer des chemins quâils nâauraient jamais pris tous seuls.
IN : cela signifie-t-il qu’une certaine uniformité règne? Ou bien que les paramètres environnants ont changé la donne? (réseaux sociaux, étendue du numérique, bruit qui brouille les messages).
J-C.R. : selon moi, lâuniformité du discours publicitaire nâest pas tant dû à lâextension des réseaux sociaux mais au fait que de nombreux annonceurs nâont plus rien à dire ou, plus précisément, quâils nâosent plus parler dâeux ou de leurs produits.
Le « truth is in the product » cher à Bill Bernbach (fondateur de DDB) a disparu.
Plutôt que parler du produit, on parle des consommateurs ou plutôt on parle à leur place. On est passé de « mon produit est comme ça, donc vousâ¦Â » à « Vous êtes comme ça, donc, mon produitâ¦Â ». On ne nous vend plus des voitures ou des smartphones, mais des modes de vie. Ãa implique dâavoir des écritures publicitaires qui représentent les consommateurs, donc des gens sans défaut, bienveillants, exemplaires, sains, écolos⦠Des gens à qui il faudrait ressembler et à qui, -sauf dans deux trois arrondissements de Paris-, personne ne ressemble. Je pense que les gens ne se retrouvent plus dans lâimage que la publicité donne dâeux ce qui crée ce fossé entre eux et notre métier. La représentation de la réalité que nous propose la pub est de plus en plus hors sol. Dans la « vraie » vie, les gens sont souvent trop gros, pas tous très beaux, un peu cons et ils le savent parfaitement (comme quoi ils ne sont pas si cons en fait).
IN : réchauffement climatique, écologie, biodiversité, vous êtes plutôt un humain responsable, cela vous parait-il un enjeu compliqué de créer avec ces impératifs?
Â
J-C.R. : je pense que la création nâa rien à voir là -dedans. Si on me demande de vendre un produit ou un service « responsable », il nây a aucune raison que je le traite différemment dâun autre. Je me souviens de cette formidable campagne pour Greenpeace qui traitait de la montée des eaux en créant une fausse agence immobilière qui spéculait sur des terrains qui allaient se retrouver en bord de mer dans lâavenir : câest tout aussi efficace, voire plus, quâune campagne qui nous prédit la fin du monde ou nous enjoint à nous comporter mieux.
Â
IN : enfin comment expliquez-vous que la pub soit toujours le bouc émissaire que l’on veut abattre quand tout va mal? (les mesures pour le climat émises par les citoyens)
Â
J-C.R. : à vrai dire, je ne sais pas. Peut-être le fameux « tuer le messager ». La publicité, elle est là , devant nous, elle se montre, on la voit, donc on sait sur qui taper. Je trouve ça dommage. Je préférerais quâon me dise « Bon, les SUV ont été interdits, maintenant il va falloir vendre des voitures à hydrogène. ».
IN : une pub mythique pour vous?
J-C.R. : en print, une évidence : « Think small » de Volkswagen et toutes celles qui ont suivi. 1959 aux états unis. Au pays du grand, du gros, du toujours plus, vendre une voiture en disant quâelle est petite et moche⦠Du pur génie.
En film : â Weâre the superhumansâ de Channel 4 en 2016. Tout est bien. Un film incroyable, généreux, spectaculaire, optimiste⦠Pas de larmes, pas de pathos. On nâa pas fait mieux.
Et bien sûr «Rendez-nous le chien ! » de Champomy.
Â
IN :Â votre plus beau souvenir de pub?
Â
J-C.R. : Un shoot photo pour les Opticiens Visual avec Christophe Caubel en DA et Vincent Dixon comme photographe. Jâarrive sur le set avec le client. La mise en place avait déjà été faite : des doigts coupés sur un parquet. Lionel, le client, regarde la mise en scène, fait une moue (la photo était très réaliste), se tourne vers Christophe et Vincent : « Vous êtes sûrs quâil y a assez de sang ? ».
Â
source : www.influencia.net