INfluencia : vous présidez lâOrganisme de gestion collective (OGC) des Droits Voisins de la Presse. De quoi sâagit-il ?
Jean-Marie Cavada : le droit voisin de la presse, qui est le voisin du droit dâauteur, rémunère les éditeurs pour la reprise de leurs contenus par les plateformes numériques. Ce nâétait pas la principale préoccupation de la commission européenne mais, en tant que parlementaire européen, jâavais reçu beaucoup dâentreprises de presse et dâorganisations professionnelles du secteur sur le sujet. Je me suis particulièrement investi dans le texte de la directive droit dâauteur qui a été bataillé, aménagé, puis voté en septembre 2018 et très rapidement transposé en France, ouvrant la voie au droit voisin dès juillet 2019. La rémunération des contenus des éditeurs nâest depuis plus soumise au gré-à -gré. C’est une loi quâil convient d’appliquer ! Lâorganisme de gestion collective (OGC) des droits voisins de la presse (DVP), créé par plusieurs syndicats dâéditeurs de presse avec la Sacem, est le bras séculier de lâapplication de la loi. Il nâest plus temps de se prosterner devant la magie du numérique ! Les contenus quâutilisent les plateformes correspondent aux investissements des entreprises de presse pour produire des contenus de valeur. Ils doivent être rémunérés en tant que tels lorsquâelles les distribuent et en tirent profit.
Il nâest plus temps de se prosterner devant la magie du numérique mais de rémunérer les investissements des entreprises de presse !
IN : quelle est la feuille de route de lâOGC pour faire appliquer la loi et défendre les droits des éditeurs ?
JM.C. : la constitution de l’organisme a été annoncée en juin 2021 et on mâa demandé de le présider en juillet. Son assemblée générale constitutive a eu lieu fin octobre et son premier conseil dâadministration sâest tenu le 9 novembre. Tous les éléments sont désormais en place pour travailler. LâOGC a quatre fonctions. Il sâagit dâabord dâévaluer la prédation ou le manque à gagner pour les éditeurs, ce qui nâa pas été fait jusquâà présent. Jusquâà présent, les plateformes fixent le prix auquel elles acceptent de rémunérer les contenus quâelles diffusent. Quand on achète une voiture, ce nâest pas lâacheteur qui en fixe le prix ! Il faut aussi définir notre doctrine de négociation des droits voisins, les collecter puis répartir les sommes dues entre les différentes familles de presse. Nous représentons nos mandants pour faire appliquer la loi et nous attendons de lâEtat quâil la défende également car il sâagit dâun principe général. Il faut simplement rétablir des lois du commerce normales. Actuellement, les négociations ne sont ni normales, ni équilibrées.
IN : il est question du droit voisin de la presse et, pourtant, plusieurs médias audiovisuels (Radio France, France Télévisions, TF1, M6, le Gesteâ¦) et des agences de presse ont rejoint lâOGCâ¦
JM.C. : dans la mutation générale vers le numérique, les médias audiovisuels ont été amenés à proposer des contenus écrits sur leurs supports digitaux. Ils se situent de fait quelque part entre lâaudiovisuel et la presse écrite. Ces entreprises de médias qui dépensent de lâargent pour aller chercher de lâinformation, lâécrire et la distribuer doivent pouvoir revendiquer une juste rémunération de leurs contenus quand ceux-ci sont repris par les plateformes.
IN : à côté de cette démarche collective, certains groupes et fédérations de presse ont choisi de conclure des accords particuliers avec les plateformes. Cela ne fragilise-t-il pas la démarche ?
JM.C. : dès mon arrivée, je me suis attelé à créer un climat favorable avec lâAlliance de la presse dâinformation générale (cette fédération, qui représente notamment la presse quotidienne nationale et régionale a signé des accords de licence sur le droit voisin avec Google début 2021 puis en octobre avec Facebook, ndlr). Des groupes ont négocié directement avec les plateformes. Cela crée une certaine dispersion qui nuit aux négociations. Le premier travail consiste donc à sâunir. Tous ceux qui veulent nous rejoindre sont les bienvenus.
LâEurope a construit le premier modèle de régulation du numérique et lancé un mouvement de fond
IN : lâEurope est le premier marché solvable au monde. Est-ce un argument à même de changer les pratiques de ces plateformes internationales qui ne semblent connaître que le rapport de force, malgré une amende record de 500 M⬠dans le cas de Google ?
JM.C. : câest en effet un des arguments pour expliquer quâils vont devoir partager de lâargent⦠On nây arrivera peut-être pas du premier coup car, pendant 20 ans, nous avons dû composer avec notre retard technologique, qui est en train de se combler. LâEurope a construit le premier modèle de régulation du numérique, dès 2018 avec le Règlement général sur la protection des données (RGPD) et demain avec le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA). Aux Etats-Unis, beaucoup de responsables anti-monopoles sont à la tête dâinstitutions de régulation et à la Maison blanche. Un peu partout, en Californie, au Canada, en Australie⦠on voit se développer un mouvement de régulation des grandes plateformes et des pratiques du numérique. Câest un élan de fond que lâEurope a insufflé.
IN : comment abordez-vous ces combats en tant quâancien journaliste et patron de média, et aussi actuel président de l’institut IDFRights, qui défend les droits fondamentaux au sin du monde numérique ?
JM.C. : les médias se sont dirigés vers les nouvelles technologies car ils ont eu besoin de renouveler leur public et dâaccompagner les nouveaux usages. Le succès ne vient pas tant de la technologie que de la puissance des contenus, ce qui valorise à nouveau lâimportance de lâhumain. Il y a un deuxième argument économique : en 10 ans, la presse française a perdu une part extrêmement importante de ses recettes publicitaires au profit des plateformes. Si on continue sur ce rythme, dans 10 ans, il nây aura tout simplement plus de presse. Câest déjà pratiquement le cas en Australie ! Cette destruction démocratique est terrible et dangereuse. Puisque nous avons désormais des lois, nous avons le devoir de les appliquer.
source : www.influencia.net