Des séries Netflix plébiscitées par les jeunes
Depuis plusieurs années, les plates-formes de vidéos à la demande par abonnement (SVoD) sont apparues dans lâunivers digital, proposant films, séries et documentaires. Présente dans plus de 190 pays, Netflix est la plate-forme de référence la plus regardée, avec une croissance régulière du nombre dâabonnés, estimés aujourdâhui à 193 millions. Netflix propose des contenus audiovisuels, selon leurs genres et les publics. Un algorithme recommande des contenus susceptibles de plaire, selon les habitudes et préférences des abonnés.
Selon Médiamétrie, les jeunes de 15 à 24 ans représentaient près dâun quart (24 %) de lâaudience française de Netflix en septembre 2018, alors que cette tranche dââge ne représente que 12 % de la population. Parmi les contenus Netflix, certaines séries apparaissent comme des formats attractifs pour les jeunes. Les scénarios se construisent sur plusieurs épisodes et saisons, fidélisant un public sâidentifiant parfois aux personnages, et traitant de sujets de la vie des jeunes.
Nouvelles représentations des dimensions affectives et sexuelles
Depuis toujours, les dimensions affectives et sexuelles de la vie adolescente sont intégrées dans les films, romans, séries télévisuelles, faisant écho au quotidien des jeunes et à la socialisation adolescente. Avec lâessor des séries Netflix destinées aux jeunes, une nouvelle manière dâaborder ces questionnements pourrait sâobserver.
Des sujets actuels sont abordés dans ces séries et de nouvelles normes y sont représentées, de manière parfois explicite.
Puis-je prendre mon propre plaisir sexuel en étant une fille ? Mon orientation sexuelle est-elle compatible avec ma religion ? Ma vie amoureuse est-elle possible avec le VIH ? Est-il envisageable dâavoir plusieurs partenaires en même temps ?
La question est alors de savoir comment est abordée la santé sexuelle au sein des séries à destination des jeunes, sachant que la définition de la santé sexuelle donnée par lâOrganisation mondiale de la Santé est la suivante :
« Un état de bien-être physique, mental et social dans le domaine de la sexualité [qui requiert] une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité dâavoir des expériences sexuelles qui soient sources de plaisir et sans risque, libres de toute coercition, discrimination ou violence. »
Une analyse scientifique de 6 séries Netflix pour les jeunes
Pour répondre à cette question, une recherche conjointe entre lâInstitut national dâétudes démographiques (Ined) et lâInstitut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a été menée. Cette étude a analysé les contenus liés à la santé sexuelle dans 65 épisodes de 6 séries récentes (2015-2020) et populaires chez les jeunes.
Deux séries avaient un synopsis directement en lien avec la santé sexuelle (26 épisodes) : Sex Education et les Chroniques de San Francisco (version 2019). Quatre autres étaient « tout sujet »(39 épisodes) : Elite, 13 Reasons Why, Stranger Things, The Society.
Bien que le but premier soit avant tout de divertir, ces séries à destination des jeunes peuvent intégrer ce quâon pourrait appeler des « messages de promotion de la santé sexuelle », au sens où des informations, conseils ou représentations positives pourraient amener les téléspectatrices et téléspectateurs à réfléchir sur leurs représentations, normes et comportements.
Pour chacun des 65 épisodes analysés, deux chercheurs en santé publique ont complété indépendamment une grille permettant de décrire les sujets de santé sexuelle abordés par les séries, et dâanalyser les messages de promotion de la santé sexuelle intégrés. Après avoir confronté leurs observations, les chercheurs ont discuté pour arriver à une grille dâanalyse consensuelle.
Les messages relevés dans les séries allaient au-delà de la simple prévention des risques. Ils pouvaient être des informations factuelles exprimées par les personnages, mais également des mises en scène beaucoup plus visuelles de comportements ou de situations de vie.
La santé sexuelle et sa promotion dans les 6 séries Netflix
Parmi les séries analysées, les sujets de santé sexuelle les plus abordés étaient les relations amoureuses et sexuelles, apparaissant dans lâintégralité des 65 épisodes visionnés. Les scénarios pouvaient mettre en avant les enjeux du couple, les techniques de drague, les « sex-friends », ou encore les partenaires multiples.
Ces séries mettent également en avant les pressions sociales pesant sur les jeunes, telles que la réussite amoureuse et sexuelle, mais aussi scolaire ou sportive. Toutes ces injonctions de la vie quotidienne mettent les personnages face à de nombreux dilemmes. La quête dâune « normalité » (déconstruite parfois) et les difficultés de communication sont mises en scène chez des personnages adolescents, et parfois chez des personnages plus âgés.
Les autres sujets les plus abordés présents dans les séries concernaient lâorientation sexuelle et lâidentité de genre abordé dans 72 % des épisodes (47 épisodes sur 65), et le harcèlement ou violences sexuelles dont il est question dans 62 % des épisodes. Les deux séries dont le synopsis est orienté sur la santé sexuelle traitaient la question du plaisir, notamment féminin, dans 54 % des épisodes, alors que seulement 13 % des épisodes de quatre séries « tout sujet » en parlent.
Globalement, parmi les 65 épisodes, nous avons observé 62 messages de promotion de la santé sexuelle, principalement diffusés comme information factuelle (77 %) avec une scène se déroulant dans un établissement scolaire (48 %). Les deux séries dont le scénario est orienté sur la « santé sexuelle » diffusaient la plupart des messages (50 messages sur les 62, soit 81 % des messages de promotion de santé sexuelle). Au vu de leur synopsis, il était bien sûr attendu que ces deux séries parlent de santé sexuelle. Par contre, la faible fréquence des messages de promotion de la santé sexuelle dans les autres séries (entre 0,5 et 0 message par épisode, voir figure ci-dessous) est plus étonnante au regard du public visé et de lâimportance de ces thématiques à ces âges.
Voici quelques exemples de messages de promotion de la santé sexuelle observés dans les séries :
Un « Non », ça veut dire « Non ». (Sex Education)
Une personne infectée par le VIH ne peut pas transmettre le virus si sa charge virale est indétectable. (Elite)
Un rapport sexuel nâest pas forcément la reproduction de scène de film pornographique et il faut pouvoir penser à son plaisir. (Sex Education)
Des commentaires sur le physique dâune femme peuvent être une forme de harcèlement. (13 Reasons Why)
Le terme « travelo » peut être discriminant ou offensant. (Les chroniques de San Francisco)
Les messages de promotion de la santé sexuelle traitaient principalement des violences sexuelles (19 %), de la protection contre les infections sexuellement transmissibles (18 %) ou encore de la contraception (15 %). Certaines thématiques étaient abordées uniquement dans les deux séries dont le scénario est orienté vers la santé sexuelle, telles que lâacceptation de soi, le plaisir et les troubles sexuels.
De manière plus implicite, certaines séries (Sex Education, Elite, Les Chroniques de San Francisco) tentent également de déconstruire les représentations et normes de genre. Elles donnent ainsi à voir des jeunes femmes vivant pleinement leur sexualité, ayant des projets de carrière et non de famille, des jeunes hommes qui se maquillent ou expriment sans honte leurs sentiments. Des populations minorisées sont représentées (cultures, identités sexuelles et de genre, handicaps).
Ces personnages sont acceptés et appréciés par leurs pairs, bien quâune histoire relative à un rejet vécu soit très souvent dépeinte. Par ailleurs, différents schémas familiaux peuvent être mis en scène : familles homo/monoparentales, absence de parents, problématiques familiales. Toutes ces représentations au sein des séries dressent donc le portrait dâune réalité jeune diverse, participant ainsi à la déconstruction des stéréotypes de genre.
Le cas particulier de Sex Education
Dans cette analyse, Sex Education est la série qui diffuse le plus grand nombre de messages de promotion de la santé sexuelle, avec une moyenne de 2,6 messages par épisode. Les réalisateurs de cette série télévisée britannique (2019) collaborent avec un éducateur sexuel donnant son avis sur les scénarios et vérifiant que les informations sont correctes et adaptées au public visé par la série.
La série met en scène un adolescent (dont la mère est sexothérapeute) qui fait équipe avec une camarade de classe pour instaurer des séances de thérapie sexuelle dans son lycée. Tout au long de la série, on y découvre une diversité de problématiques jeunes liées à la sexualité et aux sentiments, avec les questions de rapports sexuels, de violences sexuelles, ou encore dâimpact des réseaux sociaux (« revenge porn »). Dans chaque épisode, lâintrigue porte sur un sujet de santé sexuelle (romance, virginité, trouble de lâérection, cyberharcèlement, etc.). Lâoriginalité de cette série est quâelle apporte des réponses concrètes face aux enjeux de santé sexuelle, sur un fond à la fois humoristique, dramatique et émotionnel.
Sex Education est allée encore plus loin, en proposant « Le Petit manuel de Sex Education », conçu dans un but de promotion de la santé sexuelle. Aussi, des stands ont été mis en place dans des lieux de passage (rue, gare), notamment en France, pour discuter avec des (jeunes) passants des sujets de sexualité.
à travers cette série, Netflix souhaite que les jeunes puissent se reconnaître dans leurs vécus. Pour illustrer la portée de leur série, Netflix a publié le témoignage dâune jeune femme ayant subi une agression sexuelle dans les transports :
Elle explique quâun épisode de la série mettant en scène une telle agression lui a permis de se sentir moins seule, et de lever un tabou.
Est-ce que les séries Netflix peuvent être actrices dans la promotion de la santé sexuelle ?
Des séries telles que Sex Education pourraient donc participer à la libération de la parole sur des sujets complexes. Le partage dâexpériences et lâidentification aux personnages pourraient avoir une influence positive dans la gestion des évènements de vie des jeunes visionnant ces séries. Néanmoins, il est possible que ces messages provoquent lâeffet inverse, et ainsi renforcent les stigmatisations et discriminations, en dédramatisant et en rendant risibles des problèmes de santé sexuelle. Certains jeunes pourraient aussi ne pas se sentir concernés ou représentés et donc ne pas être sensibles à ce type de contenu.
En effet, au-delà de la simple description des messages de promotion de la santé sexuelle intégrés dans les séries Netflix, nous aurions besoin dâexplorer la perception des jeunes de ces messages. Une perspective serait de mieux comprendre comment les séries peuvent réellement apporter des connaissances et compétences, quels jeunes y sont sensibles, et comment il peut être possible dâintégrer les séries dans les actions traditionnelles de promotion de la santé.
Il apparaît nécessaire dâexplorer lâintérêt de pistes « non traditionnelles » dans la promotion de la santé sexuelle auprès des jeunes. Lâapproche institutionnelle est en effet perçue comme « moralisatrice », ce qui en réduit lâefficacité et appelle à réfléchir à dâautres voies, complémentaires, pour développer la promotion de la santé sexuelle.
Philippe Martin, Santé et droits sexuels et reproductifs, Ined â Eceve U1123, Inserm; Corinne Alberti, PU-PH de santé publique, Université de Paris; Elise de La Rochebrochard, Directrice de recherche, Santé et Droits Sexuels et Reproductifs, Institut National d’Ãtudes Démographiques (INED) et Solenne Tauty, Pharmacienne, Epidémiologiste, Inserm
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire lâarticle original.
source : www.influencia.net