Quâil parait loin le temps où la majorité des médias, et des utilisateurs eux-mêmes, se réjouissaient de la montée en puissance des Gafam. Cela peut paraître étonnant en 2021, mais à leur début, presque personne ne semblait redouter les dangers intrinsèques liés à lâavènement de ces géants du numérique. Pourquoi redouter une exploitation de nos données personnelles à des fins commerciales quand on peut envoyer un émoji à sa grand-mère vivant à lâautre bout du monde ou avoir accès à tous nos albums préférés dans le creux de nos mains ? Un exemple parfait de ce changement de paradigme quant aux nouvelles technologies est lâévolution du traitement médiatique de Mark Zuckerberg.
Au début des années 2010, on ne comptait plus les articles de presse vantant ses mérites et son génie, telles que : « Comment Zuckerberg a fait de Facebook la plateforme la plus cool du web », ou encore : « Mark Zuckerberg, la plus belle success story du web ». Une dizaine dâannées plus tard, la belle histoire se fendille. Notamment avec la sortie du film à charge The Social Network, et surtout à cause ou grâce au scandale Cambridge Analytica.Â
Dâun positivisme technologique sans faille à un techno-scepticisme acharné
En février dernier nous évoquions lâaction haute en couleur du studio Epic Games à lâencontre dâApple. Le géniteur du jeux vidéo Fortnite contestait la taxe de 30% imposée par la pomme à tous les développeurs qui cherchaient à commercialiser leur application sur son store. Le tout grâce à un plan savamment orchestré, à savoir le dépôt dâune plainte venue détailler les raisons de sa colère, lâorganisation dâun tournoi sur son jeu phare afin dâinciter les joueurs à la révolte, et même la publication dâun film parodique de lâiconique spot publicitaire 1984 dâApple. Une bataille, dont lâissue reste à être précisée, était alors lancée.
Cette semaine, câest au tour de Primary Productions de lancer un recours collectif contre lâApp Store, toujours au sujet de cette fameuse taxe de 30%. Selon les propres mots du développeur basé dans le New Jersey : « Apple met à mal les développeurs avec ses pratiques monopolistiques ». Pour réparer cet affront, Primary Productions réclame pas moins de ⦠200 milliards de dollars⦠Un montant ridicule, quel que soit le préjudice, mais qui a évidemment le mérite de faire parler dans la presse, au plus grand plaisir du développeur. Cette action en justice est survenue après que Primary Productions se soit vu refuser lâaccès à lâApp Store pour son application qui cherchait à mettre en garde ses utilisateurs quant aux portefeuilles basés sur la blockchain. Le développeur accuse ainsi Apple de le sherlocker, câest-à -dire de le mettre sur liste noire le temps de développer une technologie native similaire afin de lui voler son idée. Une énième tentative dâApple de vampiriser un logiciel indépendant… Une expression née au lancement de lâapplication Sherlock, développée par Apple au début des années 2000, qui sâinspirait grandement dâun autre logiciel développé de manière indépendante intitulé… Watson .
Au tour du Japon, de la Corée du Sud et de l’Inde de taper du poing
Les gouvernements nâétant pas en reste du secteur privé, nous avons vu ces dernières semaines plusieurs états se joindre à la lutte pour mettre à mal le monopole de son célèbre store. Le 31 août dernier, la Corée du Sud devenait ainsi le premier pays au monde à réguler lâun des facteurs clés de sa puissance économique, à savoir les juteuses commissions prélevées sur les dépenses réalisées in-store. Cette nouvelle législation interdira désormais à la firme de ne proposer que son propre système de paiement pour régler les achats. Une manière pour les développeurs de ces applications tierces dâesquiver la commission imposée par Tim Cook et son board â pouvant atteindre jusquâà 30% ! â et ainsi toucher lâintégralité des revenus générés par les utilisateurs.
Encore plus récemment, le 2 septembre dernier, la Commission japonaise du commerce annonçait avoir contraint Apple à intégrer un lien externe vers le site des éditeurs de certaines applications, afin que lâutilisateur puisse y créer et paramétrer son compte et ses réglages. Cet accord avec lâorganisme japonais ne concerne que la catégorie Reader, dans laquelle se retrouvent toutes les applications permettant de lire des contenus achetés en amont ou en abonnements, mais dans laquelle on peut tout de même retrouver des mastodontes tels que Kobo, Spotify ou Netflix. Ce dénouement tant espéré est la conclusion dâune enquête anti-trust amorcée il y a déjà six ans. Alors que cet accord ne concerne que le territoire japonais, Apple a décidé dâappliquer cette nouvelle politique au monde entier à partir de 2022. Un grand pas pour les développeurs, qui gagnent en liberté et en contrôle sur les données de leurs utilisateurs. Enfin, un procès en chassant un autre, une nouvelle affaire antitrust était ouverte en Inde, au lendemain du verdict japonais, toujours concernant la position prétendument dominante dâApple sur le marché des applications, forçant les développeurs à utiliser son système exclusif dâachat intégré à lâapplication. Lâeffet domino nâest pas près de sâessouffler.
Suffisant pour tout remettre à plat ?
Il est encore trop tôt pour déterminer si ces différents verdicts vont transformer en profondeur Apple et le reste des Gafam. Leur donner un sens nouveau des responsabilités en quelque sorte. Cependant, toutes ces actions judiciaires en chaine révèlent un niveau de préoccupation nouveau vis-à -vis dâun secteur qui se vantait autrefois dâéchapper au viseur politique. Lâépoque nâest définitivement plus au laisser faire pour les seigneurs de la Silicon Valley. En témoigne notamment la taxe sur le chiffre dâaffaires des Gafam que la France a instaurée en juillet 2019, malgré le fait quâelle soit venue compenser l’échec des négociations au sujet dâune législation à lâéchelle européenne.
En juin 2019, alors que la FTC â Federal Trade Commission â obtient le droit dâétudier les pratiques commerciales de Facebook et son impact sur la concurrence et que la justice américaine annonce conduire une enquête similaire au sujet dâApple, Jerrold Nadler, président démocrate du comité des Affaires judiciaires, déclarait ceci : « lâinternet ouvert a apporté dâimmenses avantages aux américains. Mais il y a de plus en plus de preuves qui montrent quâune poignée de garde-barrières a pris le contrôle des artères clés du e-commerce, des contenus et des communications en ligne ». Aux générations dâaujourdâhui de contester cette main mise pour le bien des générations futures.
source : www.influencia.net