Pour rappel, ces ânon-fungible tokenâ (NFT) sont des jetons non fongibles stockés sur une blockchain pouvant être liés à des fichiers numériques : image, vidéo, son, texte, etc. Le succès des NFT dans le milieu de lâArt et de la Culture ne faiblit pas, et pour cause, ce procédé permet tout à la fois dâassurer lâauthenticité et la provenance de l’Åuvre en question mais également de créer de la rareté, critère très prisé des collectionneurs. Pas étonnant que les NFT intègrent et bouleversent aujourdâhui lâunivers des ventes aux enchères imposant ce nouveau paradigme dans le marché de lâArt.
Le projet de musée virtuel destiné à accueillir lâÅuvre de Beeple âEverydays : the First 5 000 Days » réalisé par le studio Holly13 / Ãric de Broche des Combes (droits à demander)
Certains musées ont également fait le choix dâaccueillir dans leur espace physique des expositions dédiées aux NFT. Câest ainsi quâen 2021, le Francisco Carolinum Museum en Autriche présentait son exposition âProof of Artsâ retraçant lâhistoire des NFT, de leur apparition jusquâau développement des métavers. Tout récemment, en janvier 2022, le Seattle NFT Museum, un musée entièrement consacré aux NFT, ouvrait ses portes, et exposait, entre autres, des âCryptoPunksâ.
Poussant plus loin encore les possibilités offertes par cette technologie, les professionnels de lâart font désormais communiquer les deux mondes, réel et virtuel, profitant du Web 3.0 comme un véritable amplificateur de visibilité. Le âphénomène NFTâ est pris en main par les institutions et les galeries dâart qui profitent de nouveaux espaces dâexposition et dâune nouvelle audience. Les Åuvres – par le biais de leur NFT – peuvent désormais être présentées dans ce quâon appelle le métavers, sorte dâInternet amplifié, collaboratif et immersif, dont le jeu Second Life annonçait déjà la venue au début des années 2000.
Brouillant les frontières entre le réel et le virtuel, le métavers permet une accessibilité accrue aux Åuvres dâart tout en réglant les problèmes dâéchelle qui pouvaient exister sur les plateformes de vente sur internet. Les expositions se visitent en ligne par les avatars des utilisateurs qui se déplacent au sein dâespaces virtuels dédiés, pensés et construits pour les Åuvres. Le studio Holly13 a conçu un âmusée du futurâ destiné notamment à accueillir lâÅuvre âEverydays : the First 5 000 Days » de lâartiste Beeple. Dâautres envisagent de créer des répliques de musées préexistants, comme le musée de lâErmitage de Saint-Pétersbourg. En juin 2021, Sothebyâs créait déjà dans lâunivers Decentraland, plateforme de réalité virtuelle dans laquelle il est possible dâacheter des parcelles de terrains constructibles, une réplique de son espace de vente. La plateforme accueille par ailleurs de nombreuses galeries dâart et musées, tels que la âCrypto valley Art Galleryâ. Les possibilités offertes par le métavers semblent infinies. Du réel au virtuel, les NFT naviguent entre les deux mondes avec une certaine facilité, permise par le numérique. A tel point quâon en oublierait presque que derrière chaque Åuvre, même associée à un NFT, il existe des droits protégeant lâauteur. Lâavènement dâInternet avait déjà eu pour effet de malmener les droits des auteurs. Le Web 3.0 n’échappe pas à cette tendance.
les propriétaires de CryptoPunks ont proposé à des tiers dâutiliser lâimage de leurs avatars
Récemment, ce sujet a été au cÅur de débats après que les propriétaires de CryptoPunks ont proposé à des tiers dâutiliser lâimage de leurs avatars contre rémunération pendant une durée déterminée. Le rachat tout récent des droits de propriété intellectuelle des âCryptoPunksâ par Yuga Labs, les créateurs du âBored Ape Yacht Clubâ, vient toutefois résoudre cette problématique. En effet, Yuga Labs a annoncé le 11 mars 2022 que chaque propriétaire dâun NFT de âCryptoPunksâ détiendrait désormais les droits de propriété intellectuelle sur ces images, comme câest déjà le cas pour les détenteurs de âBored Apeâ, et notamment le droit dâen faire un usage commercial.
En effet, lâexploitation commerciale dâune Åuvre, quâelle soit tangible ou numérique, associée à un NFT ou non, requiert dâêtre titulaire des droits patrimoniaux, câest-à -dire du droit de reproduction et du droit de représentation (I). Lâexposition d’Åuvres liées à des NFT et plus généralement toute exploitation de ces Åuvres dans le métavers ne déroge pas à cette règle (II).
Le droit de reproduction et de représentation des Åuvres dâart
- Des droits distincts du support de lâÅuvre
Le Code de la propriété intellectuelle (CPI) octroie à lâauteur dâune âÅuvre de l’espritâ un droit dâauteur défini comme âun droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.â[1]. Pour accéder à la protection du droit dâauteur, lâÅuvre de lâesprit doit être originale, c’est-à -dire quâelle doit revêtir l’empreinte de la personnalité de son auteur. La loi dresse une liste de quatorze catégories d’Åuvres de l’esprit dont les Åuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, ou encore les Åuvres photographiques[2]. Au titre de cette protection, les auteurs bénéficient sur leurs Åuvres de droits patrimoniaux et dâun droit moral. Les droits patrimoniaux confèrent à lâauteur un monopole d’exploitation. à ce titre, l’auteur dispose du droit de représentation, câest-à -dire de communication de l’Åuvre au public par un procédé quelconque, et du droit de reproduction, c’est-à -dire de fixation matérielle de l’Åuvre par tous les procédés qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte. Le droit moral de l’auteur garantit quant à lui le respect de sa qualité dâauteur, et de lâintégrité de son Åuvre. Ce droit est perpétuel, inaliénable, imprescriptible et transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur.
Le propriétaire du support matériel dâune Åuvre physique ne détient pas la propriété incorporelle de ces Åuvres qui comprennent les droits de reproduction et de représentation, à moins dâen avoir obtenu la cession express. Ainsi, le propriétaire dâune toile de maître ou dâun tirage photographique ne bénéficie pas, sauf accord explicite de lâauteur, du droit de les reproduire ou de les présenter publiquement hors dâun cercle privé[3]. La propriété de lâÅuvre et les droits dâauteur étant indépendants, chaque exposition du support dâune Åuvre ou chaque reproduction de celle-ci devrait ainsi sâaccompagner dâune autorisation et dâune rémunération de lâauteur.
Le droit dâauteur à lâère du numérique
Initiés à partir des années 60-70, les arts numériques (créations par ordinateur, algorithmes, réalité virtuelle, game design, etc.) ont fait leur entrée progressive dans le monde de lâart dans les années 90. A lâépoque, ce nouveau type d’Åuvres interrogeait des concepts quâon pensait impossibles dâêtre remis en cause : l’Åuvre dâart, lâartiste, le lieu dâexposition, ou encore la conservation dâune Åuvre. Pour la première fois, l’Åuvre devient interactive, mouvante, sensorielle. Elle introduit un nouveau rapport à l’Åuvre dâart, qui nâest plus seulement un objet unique. L’Åuvre numérique semble, au contraire, pouvoir être dupliquée à lâinfini. A sâen tenir à cette définition, l’Åuvre numérique semble échapper aux règles certes protectrices mais aussi très contraignantes du droit dâauteur. Pourtant, il nâen est rien. Tout comme un tableau, une sculpture, ou un dessin, une Åuvre digitale, même créée à lâaide dâune intelligence artificielle, peut être protégée par le droit dâauteur. Il a toutefois été difficile de faire respecter ces droits. Le développement dâInternet a en effet apporté son lot de contrefaçons, devenant le premier mode de diffusion des Åuvres et facilitant les reproductions illicites d’Åuvres dâart protégées. Le droit dâauteur a donc dû sâadapter.
Toute une communauté préexistait donc aux NFT et au crypto-art…
Toute une communauté digitale dâartistes, de collectionneurs et de diffuseurs, préexistait donc aux NFT et au crypto-art. Lâart digital, déjà présent depuis plusieurs décennies, a été lâoccasion de constater lâimportance de renforcer les droits des auteurs sur ce type d’Åuvres à lâère du numérique. Â
Les NFT : Ã la fois pourfendeurs et sauveurs du droit dâauteur
Si le développement dâInternet avait déjà fragilisé le droit des auteurs, lâengouement autour des NFT a amplifié ce phénomène dans un premier temps. De la même manière que lâacquéreur dâune Åuvre dâart âtangibleâ pense parfois détenir lâensemble des droits rattachés à celle-ci, les détenteurs de NFT estiment pouvoir les utiliser et les exploiter à leur guise notamment dans lâespace numérique.
le développement dâInternet avait déjà fragilisé le droit des auteurs
Il existe donc un malentendu qui pousse les détenteurs de NFT à les reproduire, les exposer ou les exploiter commercialement de quelque manière que ce soit. Pourtant, en cas dâachat dâun NFT, lâauteur de l’Åuvre sous-jacente reste titulaire des droits dâauteur sur celle-ci. Pour autant, les pratiques évoluent. Les vendeurs de NFT prennent le problème à la source et décident, de plus en plus, de gratifier leur communauté dâacheteurs non seulement du NFT mais également des droits associés, leur permettant ainsi dâexposer l’Åuvre ou encore de la monétiser. Ce fut le cas tout récemment avec le rachat des droits de propriété intellectuelle des âCryptoPunksâ par Yuga Labs, les créateurs du âBored Ape Yacht Clubâ. Désormais, chaque propriétaire dâun NFT de âCryptoPunksâ détient les droits de propriété intellectuelle sur ces images, une pratique déjà en place en cas dâacquisition de NFT de la collection âBored Apeâ. Cette annonce a eu un effet colossal dans le marché des NFT, les ventes de âCryptoPunksâ ayant augmenté de 1 219% en 24h. Câest dire le rôle que joue désormais la propriété intellectuelle dans le marché des NFT.
nécessaire dâaméliorer le sort des artistes et des ayants droit
Malgré ces avancées, de nombreux problèmes persistent encore. OpenSea, plateforme de création et de vente de NFT fondée en 2017, annonçait en janvier sur son Twitter que âplus de 80 % des NFT créés sur le site étaient des Åuvres plagiées, des fausses collections ou des spams[4]â. Il est donc nécessaire dâaméliorer le sort des artistes et des ayants droit qui semblent démunis face aux utilisations frauduleuses de leurs Åuvres.
Oeuvres en vente sur OpenSea
Cette amélioration peut se traduire par la généralisation des âlicences NFTâ, permettant de déterminer les droits transmis en même temps que le token. La société à lâorigine des âCryptoKittiesâ, Dapper Labs, avait déjà proposé ce type de licence à ses acheteurs, qui peuvent monétiser leur NFT dans une limite de 100 000 dollars de revenus bruts par an. Les réseaux sociaux sâemparent, eux aussi, de la question des droits dâauteur. Il y a cinq mois, Twitter expérimentait déjà son outil de certification de NFT utilisés comme avatars par les utilisateurs, et qui a su faire ses preuves depuis. Lâimage de profil de lâutilisateur prendra la forme dâun hexagone, facilitant ainsi lâidentification. De son côté, Mark Zuckerberg a annoncé le 15 mars 2022 quâil serait désormais possible, dans les prochains mois, de créer des NFT sur Instagram. Une possibilité qui soulèvera, à nâen pas douter, de nouvelles problématiques juridiques. Les NFT peuvent donc contenir des autorisations octroyées aux détenteurs pour ce type dâexploitations et même potentiellement pour lâexposition des Åuvres dans les métavers.
- Lâautorisation dâexposer des Åuvres dans les métavers grâce aux NFT
Le terme de âmétaversâ est issu de la contraction des termes âmetaâ et âuniverseâ. Le métavers est donc un monde qui va au-delà de notre connaissance. Il désigne généralement un monde parallèle, immersif, en trois dimensions, un monde virtuel aux interactions bien réelles. Il existe déjà des mondes virtuels immersifs (Minecraft, Fortnite, Decentraland, The Sandbox, etc.) qui sont des déclinaisons de concepts plus anciens (les Sims ou encore Second Life). Depuis lâannonce de Meta (anciennement Facebook) de la création dâun métavers et le développement récent de multiples métavers, les NFT ont suscité encore davantage dâintérêt. Contrairement aux idées préconçues, la reproduction et lâexposition d’Åuvres, même acquises sous forme de NFT, dans ces univers, doivent sâaccompagner dâune autorisation et dâune rémunération de lâauteur. Or, le propriétaire dâun NFT ne bénéficie pas a priori du droit de les reproduire ni de présenter l’Åuvre dâart publiquement dans un métavers, sauf autorisation expresse de lâauteur. Aujourdâhui, la plupart des NFT ne sont pas associés à des licences permettant la reproduction ou la représentation des Åuvres sous-jacentes dans des univers virtuels. Câest dâailleurs ce qui a suscité lâire de plusieurs collectionneurs de âCryptopunksâ qui ont réalisé que ces NFT, acquis parfois pour des centaines de milliers de dollars, nâétaient pas associés à une licence des droits patrimoniaux de lâauteur.
faire un usage commercial de l’Åuvre acquise nécessite dâobtenir une autorisation au titre des droits dâauteur attachés à l’Åuvre
En effet, faire un usage commercial de l’Åuvre acquise nécessite dâobtenir une autorisation au titre des droits dâauteur attachés à l’Åuvre, qui ne sont pas automatiquement transférés à lâacheteur en même temps que le NFT. Pour autant, lâautorisation de reproduire et de représenter des Åuvres dans ces mondes virtuels peut parfaitement être intégrée aux NFT. Cette intégration se fait par le biais des métadonnées des jetons qui peuvent inclure une licence du droit de reproduction ou de représentation. Cet accord de licence peut notamment conférer une autorisation dâexposer une Åuvre dans les musées physiques mais également dans les métavers. Aujourdâhui, des plateformes se développent pour permettre de générer et dâintégrer ces cessions et ces licences de droit dâauteur dans les métadonnées des NFT offrant ainsi un cadre juridique et sécurisé à lâexploitation des Åuvres liées aux NFT dans les métavers. Câest par exemple le cas de la plateforme ATO qui permet notamment aux artistes et aux professionnels de lâart de générer automatiquement des conditions générales de ventes et des smart contracts intégrés aux NFT. Il convient cependant de rappeler que les projets NFT doivent impérativement être accompagnés par des experts en matière juridique et technique pour traiter les questions liées à ces nouveaux objets dont le cadre est encore en construction.
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[1] Art. L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle
[2] Art. L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle
[3] C. Cass, 1ère Civ, 6 novembre 2002, RG 00-21.868
[4] Traduction libre
source : www.influencia.net