<span><a href= »https://theconversation.com/profiles/guibourg-delamotte-1288723″>Guibourg Delamotte, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)
La guerre a par ailleurs suscité des réactions face à la possibilité brandie par Vladimir Poutine de recours à lâarme nucléaire. En outre, la perspective de récupérer les « territoires du Nord », occupés par les Soviétiques en septembre 1945 après la fin de la Seconde Guerre mondiale, sâéloigne encore davantage. Sur un plan économique, les entreprises japonaises sâadaptent, mais une hausse des prix est probable à partir de mai.
Une réaction immédiate
Le 23 février, au lendemain de la reconnaissance par Vladimir Poutine de lâindépendance des « Républiques populaires » de Donetsk et de Lougansk (DNR et LNR), le premier ministre Kishida Fumio a annoncé les premières sanctions du Japon à lâencontre de la Russie, en lien avec ses partenaires du G7, selon des modalités précisées peu après complétées de manière concertée ensuite comportant notamment lâexclusion de la Russie du système de règlement interbancaire SWIFT et le gel des avoirs du président russe et dâune soixantaine dâoligarques et de banques.
Conjointement avec ses partenaires du G7 et à la suite des Ãtats-Unis, Tokyo a en outre suspendu le bénéfice de la clause de la nation la plus favorisée dont jouissait la Russie en tant que membre de lâOMC et suspendu les droits russes aux financements de la Banque mondiale ou du FMI.
Conscient du statut de seule puissance asiatique du G7 quâa le Japon, Kishida Fumio sâest en outre fait le porte-parole des positions des pays dâAsie auprès des autres puissances industrielles. Il a aussi cherché à influer sur deux de ses voisins, lâInde et le Cambodge, qui sâétaient abstenus lors du vote de la résolution A/RES/ES-11/1 de lâAssemblée générale des Nations unies condamnant lâagression de lâUkrainemais nâen a pas obtenu de condamnation explicite de la Russie.
Par ailleurs, le Japon applique toujours les sanctions adoptées en 2014 après lâinvasion de la Crimée, en concertation avec lâUE et les Ãtats-Unis : gel des avoirs au Japon de 66 individus et de 16 entités, interdiction dâémission de titres sur le marché japonais visant cinq établissements bancaires, interdiction dâimportations en provenance de Crimée (sauf autorisation du gouvernement ukrainien) et suspension des exportations susceptibles dâavoir des applications ou usages militaires.
Dans le contexte de cette nouvelle guerre, un soutien humanitaire de 100 millions de yens(environ un million dâeuros) a rapidement été débloqué par le Japon et, concernant les réfugiés, des mesures inhabituelles ont été prises. Le gouvernement prévoit dans un premier temps dâaccueillir les familles des 1 900 Ukrainiens qui résident au Japon. Il a entamé un processus de consultation interne pour déterminer quelles collectivités seraient disposées à recevoir plus de réfugiés. Il nâécarte pas dâaccueillir plus de réfugiés ensuite. Le Japon met ainsi de côté sa réticence à ouvrir ses frontières aux demandeurs dâasile : en 2017, il nâavait accordé le statut de réfugié quâà 20 personnes en provenance de Syrie.
Tokyo a aussi, fait sans précédent, décidé de contribuer à lâeffort militaire de lâUkraine à travers la fourniture de gilets pare-balles. Les Chambres haute et basse ont, pour leur part, adopté des résolutions en séance plénière, soutenues par la majorité de leurs membres, qui demandaient à la Russie de procéder au retrait immédiat de ses troupes, tandis que le premier ministre qualifiait lâinvasion de « violation manifeste du droit international ».
Lâinvasion de lâUkraine ravive les différends entre Tokyo et Moscou
La Russie a riposté le 7 mars en désignant le Japon comme « pays hostile ». Trois jours plus tard, elle a procédé à des exercices militaires et à des tirs de missiles sol-air depuis ses postes anti-missiles sur les territoires du Nord â les quatre îlots quâelle a annexés en septembre 1945 â au-dessus desquels passait la frontière entre les deux pays depuis 1855, et qui sont très proches de lâîle japonaise de Hokkaidô.
De fait, la guerre a des répercussions pour le Japon. Concernant les territoires du Nord, le Japon avait mis en place depuis plusieurs années une aide en direction de projets nippo-russes, destinée à des entreprises de toutes tailles et à favoriser le développement de ces territoires de dimension restreinte. Abe Shinzô (premier ministre en 2006-2007 puis de 2012 à 2020), avait rencontré Vladimir Poutine un grand nombre de fois dans lâespoir de récupérer au moins deux de ces quatre îles.
Or, la Russie a instauré le 9 mars une exemption dâimpôt sur les sociétés pour encourager les entreprises russes à investir sur ces îles, en rupture avec un accord bilatéral par lequel elle sâengageait à maintenir le _statu quo.
De plus, la question nucléaire sâest une fois de plus invitée dans le débat public japonais, après que Vladimir Poutine a brandi la menace de faire usage de cette arme dans sa guerre de conquête en Ukraine.
Abe Shinzô sâest ainsi dit favorable à une mutualisation de lâarme nucléaire américaine, qui supposerait non pas que le Japon dispose de sa propre arme mais quâil puisse se servir de celle des Ãtats-Unis (la dissuasion étendue dont les Ãtats-Unis lui permettent de bénéficier actuellement les laisse néanmoins maîtres de la décision dâemploi).
Le gouvernement sâest immédiatement dissocié de cette hypothèse pour réitérer la position japonaise de rejet de lâarme nucléaire et de sa possession, même sous cette forme indirecte â à laquelle les Ãtats-Unis ne seraient vraisemblablement pas favorables, au demeurant. Le débat nucléaire nâen a pas moins ressurgi à la faveur de cette guerre qui a montré la pression quâun leader sans scrupule pouvait exercer dès lors quâil dispose de lâarme suprême, dissuadant de fait les puissances occidentales de toute réponse militaire.
Sur un plan économique, le Japon redoute dâimportantes conséquences
Sur un plan économique, le Japon doit trouver des produits de substitution. Les produits importés par le Japon de Russie se décomposent en ces catégories principales : gaz (24 %), charbon (18 %), pétrole brut (16,6 %), métaux (10 %), produits de la mer (9 %). Environ 8,5 % du gaz et 14 % du charbon importés au Japon le sont de Russie (la dépendance est bien supérieure à lâégard de lâAustralie, dont le Japon importe plus de 37 % de son gaz et de 68 % de son charbon).
Moins dépendant de la Russie sur un plan énergétique que ne lâest, par exemple, lâAllemagne, le Japon ne sera pas épargné économiquement pour autant.
Il importe 10 % de son sarrasin de Russie (elle en est le premier producteur) sans perspective de substitution immédiate. Ce sarrasin entre dans la composition de certaines pâtes, les soba. Le blé est utilisé dans la fabrication dâautres pâtes et le prix des udon devrait augmenter de 5 % en mai, tandis que le gouvernement a, pour le mois dâavril, accru de 17 % ses aides aux entreprises important du blé, aides destinées à contenir les prix. De plus, le saumon qui arrive normalement au Japon par la Norvège en survolant la Russie va devoir désormais être transporté via le Proche-Orient : le secteur de la restauration cherche donc des produits de substitution.
Le Japon verra ainsi vraisemblablement son inflation augmenter dès le mois de mai. Cette inflation importée aura un impact négatif sur la croissance et les ressources des ménages. Elle nâest pas lâinflation que rechercherait le gouvernement japonais, susceptible dâapporter une augmentation des salaires et dâavoir des effets vertueux sur lâéconomie.
Selon la Teikoku Data Bank, 20 % des entreprises japonaises avaient cessé leurs activités en Russie dès le mois de mars. Indépendamment même des sanctions internationales, les entreprises japonaises estiment en effet que leur image leur impose de cesser tout contact avec les producteurs russes. Lâimage de la Russie est effectivement durablement affectée aux yeux de citoyens japonais, qui ont manifesté dans diverses villes.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original ici.
source : www.influencia.net