The Good : l’accélération de la transition écologique semble rendre l’ADEME incontournable. Comment l’agence s’est-elle développée ces dernières années ?
Noam Leandri : Je suis arrivé à lâAdeme il y a un peu plus de 5 ans et je peux le mesurer : la capacité que lâon a de pouvoir aider des projets nâa jamais été aussi élevée. On a triplé notre capacité à financer des projets, notamment avec le plan de relance. Nous sommes une structure relativement petite (un peu plus dâun millier dâagents) mais avec une grande capacité financière, et des campagnes de communication assez visibles en général, sur les économies dâénergie, les aides du plan de relance, le numérique responsable pour encourager les éco-gestes numériques. Nous sommes très sollicités tant par les entreprises que le gouvernement pour être au rendez-vous de la transition.
TG : quels sont les domaines d’intervention de l’ADEME aujourd’hui ?
NL : Nous avons historiquement un fonds chaleur renouvelable pour aider les collectivités et les entreprises à utiliser du chauffage dâorigine renouvelable, par exemple à partir de la biomasse, qui représente 350 millions dâeuros dâaides par an. Nous avons doublé le fonds déchets/ économie circulaire, qui se porte désormais à 400 millions dâeuros. Il permet par exemple aux entreprises de développer des process éco-conçus, à faire en sorte que le plastique recyclé soit moins cher que le plastique neuf.
Nous avons aussi de nouvelles formes dâintervention avec le plan de relance qui représente pour lâAdeme plus de 2 milliards dâeuros sur 2 ans, fléchés à 99% pour les entreprises. Câest le cas du fonds de décarbonation de lâindustrie : ce sont des dizaines, parfois des centaines de millions dâeuros investis pour décarboner lâindustrie â par exemple passer du fioul lourd à lâélectrique â sur les sites de métallurgie ou sur le site de stockage de déchets nucléaires de la Hague. Au-delà de lâimpact carbone, ces lourds investissements industriels permettent de renouveler les outils de production et dâancrer durablement les entreprises sur un territoire. Nous avons également un fonds tourisme durable (50 millions dâeuros dédiés à la rénovation, à lâobtention de lâécolabel européen, au développement du slow tourisme, â¦) et un fonds dédié à lâhydrogène.
Nous avons également lancé « Tremplin pour la transition écologique des PME » : une aide pour les projets jusquâà 200 000 euros visant à faciliter les petites actions, comme une étude de conception, des petits investissements, et enclencher des projets vertueux. Cette aide a eu un très gros succès, nous nâavons malheureusement pas pu répondre à toutes les demandes.
TG : vous accompagnez de plus en plus les entreprises. Quels sont les dispositifs spécifiques que vous leur proposez ?
NL : Les entreprises deviennent plus que par le passé une cible pour lâAdeme. Aujourdâhui les trois quarts de nos aides vont vers les entreprises, câétait 50% il y a peu de temps encore. LâAdeme pour les entreprises ce ne sont pas que des aides, ce sont aussi des accompagnements. On travaille avec la Banque Publique dâInvestissement (BPI) pour toucher davantage les PME et les convaincre de passer à lâaction. Nous avons développé un éco-diagnostic qui permet en moyenne aux entreprises dâéconomiser jusquâà 50 000 euros sans investissement, juste en changeant les comportements et en optimisant les process (réduction et valorisation des déchets, réduction de la consommation dâeau et dâénergie, â¦). Aux entreprises qui ont un projet à la suite de ce diagnostic, nous proposons avec la BPI un continuum de financement via des subventions, un prêt vert, et même un accélérateur de transition écologique pour les projets innovants.
Nous avons également expérimenté et développé le dispositif ACT (Assessing Low Carbon Transition) qui permet aux entreprises de toutes tailles de vérifier que leur stratégie est bien en adéquation avec une trajectoire de réduction des émissions carbone en France, dans leur filière/ secteur. A la différence dâun outil comme le SBT (Science-Based Targets) qui permet de voir si son engagement climat est cohérent avec une trajectoire de réduction de CO2, notre outil permet à une entreprise de vérifier que son plan dâinvestissement et sa stratégie permettent réellement de réaliser son objectif de réduction des émissions carbone. Car ce nâest pas le tout de se fixer un objectif, il faut être certain de pouvoir lâatteindre !
Pour les entreprises encore très éloignées, celles qui nâont jamais réalisé de bilan carbone, nous avons aussi développé une méthode « ACT pas à pas » afin de progresser petit à petit. Ce nâest pas une méthode extrêmement lourde, il faut surtout avoir une volonté de transparence.
TG : quelle est votre feuille de route pour 2022 ? Quels sont vos grands projets de l’année ?
NL : En 2022 nous serons encore dans le plan de relance. Nous venons dâadopter un budget de plus de 2 milliards dâeuros â un budget jamais connu à lâAdeme. Nous avons pour perspective dâêtre opérateur de France 2030, pour pérenniser les actions déjà engagées, par exemple sur lâhydrogène vert afin dâen baisser les coûts et de créer des écosystèmes. Nous allons poursuivre nos actions sur lâéconomie circulaire, puisque de nouveaux secteurs sont désormais concernés par les éco-contributions comme les secteurs des jouets ou des loisirs. Nous devons nous assurer que lâargent collecté par les éco-organismes (dont lâAdeme a la surveillance) permette réellement de mettre en place des systèmes de prévention et de recyclage des déchets.
Et comme je lâévoquais précédemment, la cible entreprise est très importante pour lâAdeme, autour de ces 5 grands types dâactions : informer, former, mettre en relation, accompagner lâutilisation des dispositifs (comme les labels) et soutenir financièrement. On sâappuie pour cela sur la BPI, les régions, les CCI et les intermédiaires qui nous permettent de toucher le plus grand nombre, pour identifier les entreprises qui font et les valoriser, et celles qui ont besoin dâêtre accompagnées pour bouger.
2022 sera aussi lâannée des 30 ans de lâAdeme, en mars.
TG : vous avez coécrit avec Julie Ansidei un livre, « la finance verte ». Il existe beaucoup d’initiatives mais aussi de débats autour de ce sujet. Comment développer et crédibiliser l’investissement vert ?
NL : Il faut accepter que lâon ne puisse pas faire et de la rentabilité et de lâimpact. Câest une des situations à laquelle nous sommes régulièrement confrontés à lâAdeme. Quand je parle avec des financeurs, tous me disent « on nâa pas de problème de financement de projets verts, il y en a des milliards. Ce qui manque, ce sont des projets verts rentables ». La question principale est là : est-ce que pour avoir plus dâimpact, on est prêt à renoncer à du rendement ?. Et quel que soit lâinvestisseur, la réponse est souvent non. Comment faire alors pour avoir des projets verts rentables ? Il faut apporter de la subvention.
Nous avons également relancé les 1ers contrats à impact écologique. Par ce biais, une administration publique sâengage à payer un investisseur privé qui investit dans un projet à impact. Lâ Ademe sâengage à payer lâinvestisseur privé au prorata de lâimpact réalisé. Si les objectifs sont dépassés, ils ont une prime de performance. Les investisseurs privés vont alors challenger le projet pour réaliser davantage dâimpact. Câest gagnant pour le secteur public et pour la structure ESS qui peut développer son projet sans risque. Quant à lâinvestisseur privé, malgré les risques, il va pouvoir réorienter ses financements vers des projets verts.
Il est important dâavoir en tête cependant que lâon ne fera pas la transition écologique quâavec des subventions. Il faut des incitations réglementaires, des politiques monétaires et des règles prudentielles qui fassent que lâon réoriente la finance. LâAdeme y contribue à travers le projet Finance ClimAct qui agrège des partenaires institutionnels ou associatifs (AMF, ONG), afin de proposer des solutions aux entreprises (via le dispositif ACT), au secteur financier (stress test, mesure carbone des portefeuilles) et aux particuliers (les aider à trouver les placements verts). A la suite dâune enquête client mystère auprès de 100 institutions (banques/ courtiers), nous avons découvert quâaucune ne proposait spontanément un produit vert. Peu dâentre elles étaient capables de répondre à la demande. Nous proposons désormais des formations gratuites pour les accompagner sur la finance verte.
Il y enfin le label Greenfin qui bénéficie aux fonds dâinvestissement verts. Câest un label français qui devrait être remplacé ou complété au printemps par lâécolabel européen, qui sâappuiera sur la nouvelle taxonomie. Enfin, le label ISR qui était un peu large et a perdu en crédibilité, est en train dâêtre refondu. Jâespère que cela permettra de remettre les choses à plat.
source : www.influencia.net