Sur la question du ciblage publicitaire, 2021 semblait être â enfin â lâannée de la révolte pour les consommateurs, las de voir le respect de leur vie privée bafoué sur lâautel du profit. Un ras le bol général impulsé il y a déjà trois ans lors des révélations du scandale Cambridge Analytica et de la réponse du parlement européen de ratifier le RGPD â le Règlement Général de Protection des Données â. Une décision forte, qui symbolisait alors une implication grandissante des pouvoirs publics dans la protection des données personnelles de leurs administrés. Mais attention, la majorité d’entre eux ne militent pas aujourd’hui pour lâabolition de toute forme de publicité ciblée. Cette décision reviendrait à refondre en profondeur les modèles de monétisation des contenus sur Internet vers davantage de sites uniquement accessibles par abonnement, puisque ces derniers se retrouveraient privés de ressources publicitaires. à ce sujet, une enquête publiée par lâIAB Europe en mai dernier, une organisation qui regroupe plus de cinq mille organisations du secteur de la publicité sur internet, révélait que 75% des européens préféraient la version actuelle dâInternet avec du contenu principalement gratuit et des publicités ciblées. Voilà qui est clair. Cependant, le combat qui mérite dâêtre mené dès à présent concerne une exploitation plus raisonnée de nos données numériques, en redonnant, notamment, le contrôle aux utilisateurs des données qu’ils souhaitent, ou non, partager.
Une nouvelle politique à mettre en place
Presque pour nous donner raison, Apple dévoilait le 26 avril dernier son App Tracking Transparency à lâoccasion de sa mise à jour iOS 14.5. Il sâagit dâune fonctionnalité obligeant les applications proposées sur App Store à demander lâautorisation de leur utilisateur avant dâaccéder aux données liées à lâapplication afin de le suivre lui ou lâappareil. Concrètement, lâATT permet désormais à tous les utilisateurs dâappareils utilisant ce système dâexploitation â depuis étendu à sa 15ème itération â de choisir sâils veulent partager, ou non, leurs données de navigation pour quâelles soient ensuite utilisées à des fins publicitaires. Un changement drastique de politique, loin dâêtre pour autant la résultante dâune prise de conscience soudaine de Tim Cook.
Tout est parti dâune plainte déposée auprès de la Cnil par France Digitale en mars dernier. Selon lâorganisation, lâactivation par défaut des publicités personnalisées violait tout simplement les réglementations en vigueur, dont le RGPD. Sans rentrer dans les détails, le Directeur Général de ce collectif de 1800 start-ups et investisseurs du numérique, attaquait lâinégalité de traitement entre les start-ups françaises, à qui il est imposé de respecter les droits des données personnelles, et Apple qui semblait passer outre. Ce à quoi la firme de Cupertino avait répondu quâelle respectait ces lois en ne ciblant pas chaque utilisateur individuellement, mais uniquement des groupes de 5000 personnes ou plus⦠avant de revenir discrètement sur ses déclarations et de lancer en grande pompe son App Tracking Transparency.
Une méthode de tracking en chasse une autre
Mais alors « quel est le problème ? » direz-vous. Les choses semblent avancer dans le bon sens, lâécosystème de la publicité ciblée sâassainit, le ciel est bleu, les oiseaux chantent et Dune en Imax est vraiment super divertissant. Sauf que la semaine dernière, une vaste enquête publiée par le Washington Post venait définitivement achever ces rêves dâutopie numérique. En reprenant une étude de la société de logiciels Lockdown Privacy, fondé par Johnny Lin, un ancien ingénieur dâApple â câest là que le bât blesse â, le média américain révèle que plusieurs applications pistent encore et toujours les propriétaires dâiPhone sans leur consentement, et notamment Yelp et le très populaire jeu mobile Subway Surfers, malgré lâarrivée de lâApp Tracking Transparency. Pour arriver à ces â déprimantes â conclusions, Lockdown Privacy explique avoir mis à lâépreuve de nombreuses applications à deux reprises, lâune en activant le suivi des activités et lâautre en le désactivant.
« Lors de nos tests sur les 10 applications les mieux classées, nous n’avons trouvé aucune différence significative dans l’activité de suivi lors du choix Demander à l’app de ne pas suivre mes activités d’App Tracking Transparency », explique Lockdown Privacy. « Le nombre de traceurs tiers actifs était identique quel que soit le choix de lâutilisateur, et le nombre de tentatives de suivi n’était que légèrement inférieur, environ 13 %, lorsque l’utilisateur a choisi de ne pas être suivi ». De quoi faire dire aux ingénieurs à l’origine de cette étude que la fonction déployée par Apple était totalement… inutile. « S’il est techniquement correct que l’utilisateur peut demander aux applications de ne pas suivre leur activité sur les apps et sites web d’autres entreprises, lors de nos tests, les applications n’ont en aucun cas respecté cette demande. Et puisque chaque connexion expose l’adresse IP de l’utilisateur, il est trivial pour ces tiers d’identifier de manière unique les utilisateurs, rendant ATT inutile ».
Pour arriver à collecter les données des utilisateurs, malgré le blocage permis par lâATT à lâaccès de leur IFDA, (un identifiant unique donné à chaque smartphone opérant sous le système d’exploitation iOS d’Apple), ces applications appliquent ce quâon appelle le fingerprinting. Dâaprès la définition fournie par la Cnil, le fingerprinting est « une technique probabiliste visant à identifier un utilisateur de façon unique sur un site web ou une application mobile en utilisant les caractéristiques techniques de son navigateur ». Votre adresse IP est bien évidemment dans leur viseur, mais pas seulement : la version de votre système dâexploitation, la configuration de votre ordinateur, la configuration de votre navigateur, la présence dâextensions, et plus précisément pour les smartphones, –iphone comme android-, le nom de votre téléphone, de votre opérateur, le modèle exact que vous utilisez, votre fuseau horaire, vos paramètres dâaffichage â tel que lâapplication du mode sombre â, votre pourcentage de batterie, ou même vos réglages de volume sonore, bref, un paquet dâinformations sensibles. Une collecte bien assez suffisante de points de données qui permet dâétablir des statistiques extrêmement fiables… Au point de séduire, une fois de plus tous les publicitaires de lâécosystème numérique.
Un avenir â pas â si radieux ?
De quoi pousser cette révolte populaire que nous évoquions en début dâarticle à sâétendre et se généraliser ? Pour y arriver, il conviendrait déjà aux utilisateurs de se responsabiliser. Heureusement pour nous, les générations futurs, bien mieux éduquées aux dangers intrinsèques du numérique, sont loin d’avoir une vision aussi angélique de la chose que leurs ainés. Pour Fabien Scolan, vice président advertising du groupe Leboncoin, interrogé par nos confrères d’Usbek & Rica le 16 septembre dernier : « Plus le renouvellement des générations va sâopérer, plus la maturité digitale et de la donnée sera forte. Il y a des signaux forts sur les nouvelles générations qui sont porteuses de plein dâespoirs sur cette prise de conscience ». Comme presque toujours, remettons-nous à la sagesse de nos bambins. Cela nous permettra, une fois de plus, de déculpabiliser nos gouvernants pour leur inaction et dâéchapper encore et toujours à nos propre responsabilitésâ¦
source : www.influencia.net