The Good : Pourquoi avoir soutenu et candidaté au Grand Prix de la Good Ãconomie ? En quoi était-ce important pour vous ?
Pierre-Ãdouard Batard : Jâai retenu du Grand Prix de lâan dernier (ndlr : dont Crédit Mutuel était partenaire) une diversité dâinitiatives extrêmement stimulantes, dâacteurs installés qui se transforment et de jeunes acteurs innovants. Le Grand Prix, et à travers lui le concept de Good Ãconomie, élargit le spectre du non-profit, de lâESS, pour embarquer les entreprises du champ marchand qui ont envie dâajouter à leur logique dâentreprise et de profitabilité, du sens à ce quâelles font. Câest crucial aujourdâhui, ce le sera de plus en plus, et le valoriser cela a beaucoup de sens pour nous. En tant que banque coopérative mutualiste, nous sommes dans une interrogation permanente pour construire un équilibre entre notre vocation, nos envies dâaction, et une logique de rentabilité, dans un secteur concurrentiel.
Notre enjeu est dâêtre à la fois une banque de référence et dâêtre un aiguillon sur un certain nombre dâactions sociales.
The Good : Comment créez-vous cet équilibre ? En quoi la transition écologique et sociale impacte-elles vos métiers ?
PE.B : Notre job câest de prendre des risques. Une analyse dâun dossier de financement, câest dâabord une analyse de risque pour évaluer la capacité dâun client à rembourser. Fait nouveau, dans cette analyse de risque, nous intégrons désormais dâautres dimensions qui touchent aux sujets ESG. Le risque, comme la performance se définissent donc de façon plus globale, avec des indicateurs en matière dâempreinte environnementale et sociale. Câest un engagement pour la Good Ãconomie, mais câest aussi une question de résilience, puisquâau-delà du risque de faillite, câest aussi les risques écologiques et énergétiques que lâon évalue. Si lâon finance un client sur une activité qui, dans 5 ans, sera interdite ou mise en difficulté par de nouvelles réglementations, cela nous met en risque.
En tant que banquier, nous avons une responsabilité : dire ce qui ne nous paraît plus acceptable et accompagner nos clients dans la transformation. Par exemple, dans le secteur agricole, nous subventionnons le diagnostic environnemental pour comprendre lâimpact de lâactivité agricole sur lâécosystème ou finançons lâobtention de labels. Nous avons mis en place des prêts bonifiés pour ceux qui se transforment. Il est impératif de soutenir les professionnels du secteur dans la voie de la décarbonation et dâagir en ce sens pour le secteur des énergies comme le charbon et le gaz.
Nous avons récemment eu le cas avec Total, de qui nous sommes actionnaires très minoritaires. Si un certain nombre d’engagements ont été pris, nous avons refusé de voter leur résolution climatique en 2022 car le compte n’y était pas ; le développement de nouveaux projets n’étant pas compatible avec le respect de la trajectoire de Paris. Câest une logique de cohérence et dâéthique, tant avec les engagements que nous prenons, que vis-à -vis de nos clients.
The Good : Est-ce que lâintégration de critères environnementaux et sociaux dans vos investissements signifie une rentabilité moindre ?
PE.B : Cette transition climatique et énergétique qui est nécessaire, évidente, urgente, va se traduire par une destruction massive de capital et de valeurs. Il faut le dire et l’assumer : nous allons devoir renoncer à un certain nombre dâactifs financés dans le passé et qui ne sont plus compatibles avec les accords de Paris, et donc renoncer à leur rentabilité.
Par ailleurs, nous devons désormais nous projeter beaucoup plus loin, à 2050 et même au-delà . Les accords de Paris nous obligent à nous positionner sur un certain nombre de secteurs et évaluer comment accompagner leur transition dâici là . Ce que l’on perçoit, à travers notamment les stress tests climatiques, câest quâil y a deux scénarios. Le scénario vert, c’est celui où il y a une transition ordonnée, pour laquelle nous sommes capables de faire évoluer les financements, l’accompagnement des secteurs progressivement. Le scénario noir, c’est celui de l’attentisme où rien n’est fait jusqu’à 2030-2040, qui impliquera que les pouvoirs publics prennent des mesures extrêmement dures pour être au rendez-vous des accords de Paris.
Là -encore il y a un fort risque de destruction de la valeur : si vous continuez à financer des passoires énergétiques, et que les pouvoirs publics interdisent de louer ou vendre ce type de bien, le bien nâa plus de valeur, et le client à qui la banque a prêté peut faire défaut.
The Good : Est-ce que le fait dâêtre une organisation mutualiste vous permet de mieux appréhender cela (le long terme, la moindre rentabilité) ?
PE.B : Dans le mutualisme et le mouvement coopératif, les sociétaires sont nos actionnaires à 100%. Ils nous accompagnent dans la durée et nous permettent de nous extraire de cette pression liée à la valorisation de marché, à la recherche dâune rentabilité plus immédiate. Ils nous permettent d’inscrire notre stratégie dans le temps long.
The Good : De nombreuses composantes de votre Groupe sont devenues sociétés à mission. Quels changements sont à attendre ?
PE.B : Nous sommes une entreprise à mission depuis toujours, puisque notre vocation depuis plusieurs décennies, est à la fois sociale, territoriale et de service. Notre devise historique c’était « aider et servir ». C’était déjà une forme de raison d’être à l’époque. La loi Pacte a été l’occasion de se ressaisir de cette question pour la reformaliser, remettre des mots et des engagements sur ce que nous faisions déjà depuis longtemps.
L’ensemble de nos fédérations et groupes régionaux se sont dotés d’une raison d’être inscrite dans leur statut. Des raisons d’être parfois différentes, mais qui se résument assez simplement : le Crédit Mutuel est une banque qui agit dans l’intérêt de ses clients-sociétaires, au plus près des territoires, au plus près de la société, pour faciliter un développement solidaire, durable et harmonieux de l’économie. 90% de ces fédérations sont devenues entreprises à mission, pour incarner ce quâest « être plus qu’une banque » et de faire des choix sociétaux forts. Cela participe à leur dynamique.
Notre devise historique c’était « aider et servir ». C’était déjà une forme de raison d’être à l’époque.
The Good : Que signifie pour une banque de faire « des choix sociétaux forts » ?
PE.B : Le 3è étage de la fusée après la raison dâêtre et le changement de statut, c’est la traduction de ces ambitions dans des preuves concrètes, notamment par des innovations sociales importantes. En 2020, nous avions par exemple mis en place une prime mutualiste pour nos clients professionnels qui faisaient face à des pertes d’activité liées au Covid. Cette innovation a entraîné dans son sillage dâautres acteurs du secteur. En 2021, les assurances du Crédit Mutuel (ACM) ont annoncé la fin du questionnaire de santé pour nos clients emprunteurs. Ãtre la banque de tous implique un principe de non-discrimination et dâinclusion.
Nous agissons concrètement pour les territoires. 90% des décisions sont prises en local dans l’agence, au plus près du client. Nous voulons préserver lâintimité numérique en garantissant à nos clients la sécurité de leurs données, leur non-commercialisation et lâhébergement sur des serveurs du Crédit Mutuel en France. Cela implique des investissements informatiques importants mais nécessaires.
Grâce à une Data Factory experte dans lâexploitation des données, nous appréhendons mieux la situation de nos clients dans le contexte de lâinflation. Pour certains, lâaugmentation des prix, et notamment de lâénergie, fragilise des fins de mois déjà compliquées. Pour les aider, nos conseillers leur proposent des rendez-vous pour chercher des solutions (rééchelonnement, contrat alternatif dâassurance ou de téléphonie, â¦) et éviter des difficultés supplémentaires.
The Good : Pouvez-vous nous détailler votre initiative sur la fin du questionnaire emprunteur, qui remporte le Grand Prix de la Good Ãconomie 2022 ?
PE.B : Le questionnaire de santé emprunteur est une forte source dâiniquité. Certains clients, parce quâils ont eu un accident de santé, se retrouvent avec des taux d’intérêt plus élevés, des primes dâassurance emprunteurs plus importantes, et restent ainsi marqués au fer rouge dâune maladie ou un accident dont ils se sont souvent remis.
Les ACM ont décidé, pour ses clients fidèles, et jusquâà 500 000⬠de prêt, de supprimer le questionnaire de santé. Nous sommes extrêmement fiers dâavoir été pionniers car cela a inspiré les parlementaires, qui ont depuis généralisé en partie ce dispositif par la loi (dans la limite de 200 000⬠de prêt).
The Good : Vous qui êtes aux avant-postes de lâéconomie, pensez-vous que les tensions économiques actuelles vont freiner ou au contraire accélérer les transformations des business models ?
PE.B : Tout ce que l’on vit depuis 3 ans légitime une accélération extrêmement forte des transitions, notamment climatique et numérique. La transition climatique est devenue plus qu’une évidence avec le COVID tout comme le contexte ukrainien qui ont remis en lumière les limites d’une mondialisation débridée et de la déconstruction des chaînes de valeurs, en re-matérialisant notre dépendance extrêmement forte aux sources d’approvisionnement à lâétranger, sur les produits sanitaires, alimentaires, lâénergie, etc..
La transition numérique questionne quant-à -elle le vivre-ensemble et la dépendance à un certain nombre d’acteurs étrangers. Dans nos métiers, être dépendant de Visa et Mastercard pour nos paiements pose des questions de souveraineté. On lâa vu avec la crise ukrainienne, quand les Américains leur ont demandé de débrancher leur système en Russie. Il faut que lâon renforce notre capacité collective à être indépendant en matière de solutions technologiques.
Tout cela nécessite d’accélérer très fort. Et quand on est un acteur doté dâune éthique de responsabilité de son métier, il convient d’accompagner tous ceux qui sont mis en difficulté, voire fracturés par cette bascule. Un certain nombre de nos concitoyens ne pourront pas aussi facilement que d’autres changer leurs fenêtres, acheter un véhicule électrique, consommer bio, local, etcâ¦parce que l’endroit où ils vivent, leur niveau de pouvoir d’achat, ne leur permettra pas. Nous avons donc la responsabilité dâessayer de leur offrir des solutions, y mettre de l’énergie et du partage de la valeur. Par exemple sur le sujet de la transition énergétique, nous avons un dispositif de Prêt Avance Rénovation pour nos clients propriétaires de « passoires énergétiques ». Ce dispositif permet de repousser le remboursement des travaux de rénovation jusquâà la vente du logement ou sa transmission successorale.
The Good : Beaucoup dâacteurs du secteur financier disent souffrir dâun manque de diversité dans les équipes, et notamment de parité hommes/ femmes. Comment avez-vous fait évoluer vos pratiques managériales et RH ?
PE.B : Ãtre une banque pour tous, cela vaut aussi pour nos collaborateurs. Nous avons pris des engagements forts, avec une volonté de tendre vers une parité beaucoup plus grande, y compris dans les fonctions de décision et les fonctions exécutives. Cela démarre dès les agences, où la parité a été décidée dans les promotions de notre école des directeurs et directrices dâagence. Nous avons également développé une démarche plus proactive des dirigeants pour quâil y ait plus de femmes promues dans les fonctions clés de l’exécutif. Cette année, parmi nos 19 fédérations, il y a eu 4 renouvellements de DG ; 3 femmes et un homme ont été promus, en replacement de 3 hommes et une femme.
Nous avons également signé cette année un accord handicap et développons fortement l’apprentissage, avec 1300 apprentis, dont environ 50% viennent des quartiers prioritaires de la ville et des zones rurales.
source : www.influencia.net