The Good : Pourquoi la transition de la supply chain est-elle un défi aussi difficile à réaliser ?Â
Pierre-François Thaler : Toute la complexité de la transition de la supply chain sâexplique dans son extrême fragmentation. Les maillons de celle-ci se comptent parfois par milliers et lâimpact des directions sur chacun dâentre eux reste à faire.
Par exemple, chez Schneider Electric, on compte des dizaines de milliers de fournisseurs différents à travers le monde. Lorsque lâon prend le sujet de la réduction des consommations dâénergies, câest déjà sur le plan national un vrai défi à faire appliquer pour une centaine dâusines. A cela sâajoute le fait que 80% des émissions sont liées à la chaîne dâapprovisionnement des entreprises.
En bref, la supply chain responsable câest 80 à 90% des enjeux RSE dans le monde. 80% sur le sujet carbone, mais jusquâà 95% lorsquâil sâagit du sujet des violations des droits de lâHomme. En effet, ces dernières arrivent rarement dans les usines des grandes multinationales mais surtout chez les sous-traitants. Avec un nombre moyen de 30 000 fournisseurs pour les entreprises du CAC 40, on peut dire que la fragmentation de lâimpact est le problème majeur de cette chaîne.
The Good : Quels peuvent être les impacts concrets dâune chaîne dâapprovisionnement mal gérée ?
P-F. T : Le premier impact pour lâentreprise est réputationnel : on lâa vu avec Apple, Gap ou encore Nike qui portent toujours les stigmates des problèmes de travail des enfants. Il vendent toujours autant de produits mais ce nâest pas oublié par lâinconscient collectif.
Le second est règlementaire : grâce à une législation qui sâétoffe un peu partout dans le monde, les entreprises sont désormais responsables de ce qui se passe dans leur chaîne de production. En Allemagne il y la Supply Chain Law, en France câest le Devoir de Vigilance, et câest dâailleurs en train de devenir une réglementation européenne via une directive qui devrait être publiée dâici à la fin de lâannée pour une entrée en vigueur progressive dans différents pays.
Le troisième impact câest le risque de perte de marché dans le B2B : on pense à Unilever, ou LâOréal qui sondent désormais leurs fournisseurs au moment de leur sélection sur la gestion de leurs sous-traitants. Un contrôle plus assidu, qui oblige les fournisseurs à prouver une supply chain responsable.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si nous avons vu le jour en France il y a quatorze ans et pas aux Etats-Unis ou en Allemagne, notre contexte réglementaire, normatif et culturel y étant pour beaucoup.
The Good : Depuis votre lancement, observez-vous une évolution de lâengagement/performance des entreprises françaises ?
P-F. T : Les entreprises françaises sur leurs pratiques RSE ou pratiques responsables sont plutôt en avance sur les autres. Ce nâest dâailleurs pas un hasard si nous avons vu le jour en France il y a quatorze ans et pas aux Etats-Unis ou en Allemagne, notre contexte réglementaire, normatif et culturel y étant pour beaucoup. Notre baromètre annuel sur les performances des pays montre également que la France est quasi toujours sur le podium des 3 pays les plus performants sur le sujet.
Cependant, on note depuis 18 mois un effet de rattrapage des autres puissances mondiales notamment les Etats-Unis qui représentent 2/3 de notre croissance depuis 2020. Il y a une vraie prise de conscience de lâopportunité business énorme des GES. Sous la pression de lâurgence climatique et des entreprises américaines exportatrices, leurs entreprises investissent désormais beaucoup dans les programmes dâachats responsables et dans la réduction des émissions de gaz à effets de serre.
Lâenjeu dans les 10 ans qui viennent dans la supply chain câest de faire basculer des milliards dâachats vers des fournisseurs vertueux. Cela implique inévitablement un renouveau du capitalisme.
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The Good : « Capitalisme responsable » : une notion durable ?
P-F. T : Oui ! Si lâon veut quâil y ait innovation, recherche, transition, investissements et moyens financiers importants pour les accompagner il faut du capitalisme. Les modèles dâentreprises sociales et autres alternatives ont des modèles économiques encore trop marginaux. Lâenjeu dans les 10 ans qui viennent dans la supply chain câest de faire basculer des milliards dâachats vers des fournisseurs vertueux. Cela implique inévitablement un renouveau du capitalisme. Aussi, les associations comme Sedex en Angleterre ou la Responsible Business Alliance aux Etats-Unis qui tentent de pallier à un tout capitaliste jouent un rôle important dâévangélisation mais il faut aussi utiliser à mon sens des modèles à impact lourd.
source : www.influencia.net