Influencia: chacun semble avoir sa propre définition du métaverse : quelle est la vôtre ?
Primavera De Filippi : effectivement, il nây a pas vraiment de définition officielle. Ma proposition est la suivante : il sâagit dâun espace persistant (qui continue à exister même lorsque lâutilisateur nâest pas connecté), immersif (qui projette les participants dans une réalité partagée), interactif (qui se nourrit des contributions de chacun), et interconnecté (avec plusieurs mondes virtuels qui communiquent entre eux). A cela, jâajoute une autre dimension discriminante, car beaucoup dâapplications sur internet peuvent avoir ces quatre caractéristiques sans être pour autant des métaverses : la notion de spatialisation. Avec le métaverse, on réintroduit la notion de spatialité, avec la possibilité dâavoir des territoires, de se déplacer, de se situer et dâavoir des terrains.Â
IN. : les NFTs et le Web3 sont souvent associés aux métaverses : en quoi ces technologies sont-elles liées ?
P. de F. : ce sont des notions bien distinctes, mais qui peuvent parfois se rencontrer. Le Web3, câest une interface dans laquelle lâinfrastructure sous-jacente est une blockchain, dans laquelle sont utilisés des NFTs. Certains métaverses reposent sur des blockchains, mais on peut très bien avoir des métaverses sans NFT.
Avec le Web3, on a la possibilité de détenir des ressources numériques qui nous appartiennent réellement. Cela fonctionne techniquement, mais ce nâest pas encore reconnu juridiquement.
IN. : avec votre regard de juriste, spécialiste de la propriété intellectuelle, quelles sont les nouvelles possibilités offertes par ces technologies ?
P. de F. : dâun point de vue de la propriété intellectuelle, je ne pense pas que le Web3 soit très différent de lâinternet classique. Mais il ouvre de nouvelles questions, autour de la notion de propriété ânon intellectuelleâ. Est-ce quâon peut reconnaître un droit de propriété qui ne soit pas sur le contenu ? Jusquâà présent, on pouvait acheter des terrains et des accessoires dans les jeux et les mondes virtuels, mais on ne les possédait pas vraiment : lâopérateur de ces espaces pouvait nous exproprier à tout moment. A lâinverse, avec le Web3, on a la possibilité de détenir des ressources numériques qui nous appartiennent réellement. Cela fonctionne techniquement, mais ce nâest pas encore reconnu juridiquement.Â
Par exemple, si jâachète un sac pour mon avatar, quâest-ce que jâachète réellement ? Dans le monde physique, quand jâachète un livre, jâachète la propriété physique du livre, pas les droits sur le contenu. Sur internet, si jâachète un PDF, jâachète une licence pour reproduire et visualiser le document, mais je nâai pas un droit de propriété sur le contenu. Alors que dans le métaverse, on veut parler de propriété : il y a toute une réflexion à mener sur ce quâest cette propriété virtuelle et quel est le cadre dans lequel on peut lâintégrer, pour que la propriété technique fournie par la blockchain soit reconnue dâun point de vue juridique.
Si dans le métaverse on sâhabitue à faire preuve de flexibilité par rapport à lâidentité, peut-être que cela va nous conduire à donner moins dâimportance à lââge, à lâethnicité ou au genre dans le monde physique.
IN.: récemment, lors de la conférence USI, vous expliquiez que le métaverse pouvait aussi bien sâavérer une solution à la crise climatique quâun amplificateurâ¦Â
P. de F. : est-ce que le métavers peut-être une réponse – en tout cas partielle – à cette crise, en redirigeant notre consommation sur des objets numériques plutôt que physiques ? Est-ce que ces technologies peuvent résoudre – ou à minima alléger – les problèmes quâon a dâun point de vue écologique et économique ? Ce sont malheureusement des questions pour lesquelles je nâai pas trouvé de réponse⦠Il nây a pas d’étude qui permette de savoir si les coûts énergétiques du métavers sont justifiables par rapport à une réduction de lâempreinte écologique quâil permettrait. Il y a tellement de variables⦠Si on se déplace moins, on utilise moins d’énergie. Si on consomme moins dâobjets physiques, il y a moins de coûts de production et de distribution. Mais il y a aussi tous les coûts liés à lâinfrastructure du métavers : il est difficile de savoir si lâun est supérieur à lâautre.
IN. : on commence aussi à parler des effets du métaverse dans le monde réelâ¦
P. de F. : imaginer lâimpact du métaverse dans le monde réel, câest encore un peu tôt⦠mais on commence à entendre des discours autour du âpost-métaverseâ, sur comment le monde va sâadapter. Si on regarde en arrière, lâInternet a contribué à nous rendre beaucoup plus ouverts. Il a facilité les collaborations avec des gens quâon ne connaît pas. Avant la démocratisation dâInternet, Uber, Airbnb, Blablacar auraient été des concepts bizarres. Les formes de collaboration en ligne nous ont permis de mieux collaborer dans le monde réel.Â
Dans le métavers, les gens avec qui on interagit nâont pas forcément toujours la même identité. On peut changer dâapparence, de genre, devenir un animal⦠Tous ces attributs qui dans le monde réel sont immuables deviennent modifiables. Si dans le métaverse on sâhabitue à faire preuve de flexibilité par rapport à lâidentité, peut-être que cela va nous conduire à donner moins dâimportance à lââge, à lâethnicité ou au genre dans le monde physique.
source : www.influencia.net