Quelle est la plus belle marque du rap français ?

17 février 2022

Au DD, le monde de demain a l’odeur de l’essence.

Du titre My Adidas de Run DMC dans les 80’s, au mouvement gangsta rap des années 2000, parangon du consumérisme à outrance, en passant par les citations de Cardi B, Nicki Minaj ou Jay-Z ces dernières années, les marques ont toujours été un compagnon fidèle des rappeurs américains, parfois à leur corps défendant. Un phénomène qui semble s’être inversé aujourd’hui tant les partenariats se multiplient, les bandes-son défilent, aussi bien sur les catwalks qu’en publicité, et les marques déroulent le tapis rouge à des rappeurs devenus leaders d’opinion. 

En France, JUL est l’artiste qui cite le plus de marques de voitures dans ses titres dans le monde, d’autres rappeurs lancent leur propre marque ou s’acoquinent avec elles en devenant l’égérie d’une collection. Les rappeurs sont-ils devenus des marques alors que le genre musical est le plus vendu (et le plus streamé) en France en 2021 ?

Nous avons échangé avec plusieurs passionnés, créatifs du secteur et manager d’artistes tout en tentant de déterminer quelle était la plus belle marque du rap français.

Le case de l’Oncle Tom

Fréquemment citées dans leurs chansons, outrancièrement exposées dans leurs clips, fièrement arborées comme signe extérieur de richesse (et donc de réussite), certaines marques — de luxe notamment — sont devenues les symboles du mouvement hip-hop US. Des rappeurs comme Jay-Z se sont fait les spécialistes du brand dropping (ou name dropping), citant des marques à longueur de lyrics, pour s’accaparer un peu de leur aura et asseoir leur crédibilité. Entre 1995 et 2015, Soulja Boy s’est même fait le maître du genre (Source : M by Macy’s). Luxe (Cardi B et Balenciaga, Nicki Minaj et Louis Vuitton), alcool & spiritueux, automobile et mode sont les secteurs les plus largement référencés. Le cognac est ainsi indubitablement lié à cet univers grâce à des artistes comme Busta Rhymes, 50 Cent, Jay-Z, Pharrell Williams ou Drake qui en font l’apologie dans leurs chansons.

Certains d’entre eux se sont lancés dans les affaires avec leur propre marque, comme le note Eric Tong Cuong, président de lachose et ex-président d’EMI Music : « Les artistes sont plus entrepreneurs aux États-Unis : 50 Cent est celui qui a le plus diversifié sa marque, il est acteur, producteur, a vendu de l’eau à Coca-Cola (pour 100 millions de dollars, NDLR), etc. ; Dr Dre a fortune en vendant ses casques Beats, mais surtout le système de streaming devenu la base d’Apple Music ; Pharrell Williams a une franchise chez adidas, des engagements chez Chanel et est aussi designer à ses heures perdues pour l’un et l’autre ; Kanye West est lié à adidas. Ces artistes ont compris qu’ils pouvaient se déployer sur plein de choses grâce à leur notoriété ».

Pour Damien Régnier, impresario et directeur marketing de l’agence de management & label services #NP, qui a collaboré avec Disiz La Peste, Booba, Diam’s, Seth Gueko, Soprano, Rohff, Lartiste ou Stromae : « L’appétit des marques pour les rappeurs est effectivement né aux États-Unis. Quand les rappeurs ont assumé leur envie de réussite sociale et en ont fait un discours, ils ont par la même occasion attisé la curiosité des marques qui ont compris l’intérêt de s’associer avec ces leaders d’opinion et prescripteurs. Busta Rhymes, en chantant Pass the courvoisier avec P. Diddy et Pharrell Williams, a décuplé les ventes du cognac français aux États-Unis auprès de la communauté afro-américaine, et quelques années plus tard, Nas est devenu ambassadeur de Hennessy. Certains sont allés plus loin, en créant leur propre marque, comme P. Diddy et sa vodka [“Cîroc”, produite en France et distribuée aux États-Unis, NDLR]. »

Et en France ? Si l’influence culturelle américaine est évidente et que certains rappeurs français ont tenté de dépasser les frontières de la musique, le phénomène est moins marqué. Parmi les artistes pionniers, on peut citer NTM avec com8 et Sully Sefil avec RoyalWear, rappelle Damien Regnier. Booba a ensuite élevé le niveau de diversification à une autre échelle : « Il a ouvert des portes en développant une image de marque forte qui lui a permis de décliner son univers dans d’autres domaines que le domaine strictement musical (streetwear/spiritueux, etc.). (…) Il est allé plus loin que le textile a repoussé les limites et s’est toujours montré précurseur, en témoigne son initiative récente de se positionner sur les NFTs ».

Aujourd’hui, on voit de nombreux rappeurs français collaborer avec des marques, lancer la leur ou développer une image de marque ultra étudiée. « Les artistes et notamment les rappeurs n’ont pas d’autre choix, constate Nicolas Lévy, associé et directeur général de Steve. La musique seule génère moins de revenus qu’auparavant quand un artiste pouvait compter sur les ventes de supports vinyles et disques, les tournées, le merchandising. Aujourd’hui, avec la dématérialisation, les supports ont quasiment disparu, ils doivent capitaliser sur leur notoriété et n’ont d’autres choix que de se diversifier. » 

Pour le DG de l’agence axée sur les nouveaux usages et la pop culture : « Les artistes, rappeurs notamment, ont perdu en revenu ce qu’ils ont gagné en accès, notamment via les réseaux sociaux. Ils doivent désormais se poser la question des partenariats, de lancer leur propre marque, comme Orelsan avec Avnier, Booba et Ünkut (cédée en 2018 sur fond de dissensions avec ses associés, NDLR), de lancer leurs propres contenus audiovisuels ou podcast. Ils se voient désormais — et en cela c’est très moderne — comme des marques dont le cœur de métier reste la production de musique, mais plus généralement la création. À l’instar de Kanye West et Pharrell Williams, ils sont créatifs et influents auprès de leur audience, il n’y a donc pas de raison de ne pas se lancer. »

De contre-culture à culture dominante

Les rappeurs sont-ils devenus de véritables marques à part entière ? « Le raccourci de sens entre les rappeurs et un système capitaliste qui donne le pouvoir aux marques est assez intéressant », estime pour sa part Jérémie Bottiau, directeur de création de l’agence Marcel derrière la campagne de promotion de la série documentaire Orelsan : montre jamais ça à personne (Prime Video). « En réalité, la musique dite urbaine dans sa globalité, et le rap en particulier, s’est construit comme un modèle de contre-culture, et aujourd’hui, c’est la culture. Comme Lartiste l’exprime très bien dans Grand Paris de Médine : ‘La banlieue influence Paname et Paname influence le monde’. Il y a une grande justesse dedans, puisque lorsqu’un rappeur explose, il a déjà une communauté sur les réseaux sociaux, il s’est construit une image de marque très chiadée, comme SCH ou Ninho aussi, même s’il est plus mainstream. Lorsque Orelsan sort son dernier album, il le précède d’un documentaire, d’une campagne-exposition, et il va également sortir une nouvelle collection de fringues ensuite. »

Ce qui fait dire au créatif, passionné de rap, que les rappeurs ne représentent plus la contre-culture, mais sont des “trendsetters” : « Chacun doit travailler sa marque. Comme Laylow qui est en train d’exploser, travaille la sienne de façon très précise et storytellée, même dark. Ou Jazzy Bazz qui explique dans le dernier album Memoria que si on le voit porter un vêtement sur lequel la marque est visible c’est qu’il a été payé pour. Aujourd’hui, les rappeurs sont des influenceurs en puissance avec un véritable propos derrière, ce ne sont pas seulement des portes-manteau. Ils ont tout un univers autour construit autour. »

Pour Damien Régnier, s’ils ont évidemment beaucoup de points communs avec la notion de marque, puisque leur art se vend, « ce sont avant tout des artistes et des humains”, comme Vald l’aborde très bien le sujet dans son dernier album, notamment dans le titre en featuting avec OrelSan, et l’ambivalence de l’artiste sur le sujet. » 

Des marques encore frileuses en France

La culture urbaine (et streetwear) a envahi le monde : qui ne porte pas de baskets aujourd’hui ou ne s’accapare les codes d’un univers autrefois considéré comme sulfureux ou réservé aux quartiers ? En 2018, l’arrivée fracassante de Virgil Abloh à la tête des collections Homme de Louis Vuitton venait parachever ce basculement, auquel Kanye West n’était pas étranger. Par son génie créatif et visionnaire, le DJ, architecte, artiste, designer décédé le 21 novembre dernier bouscula la maison de luxe en y instillant sa signature street aperçue auparavant dans les collections de sa marque Off-White. 

« Il y a eu un basculement lorsque les marques de luxe se sont dit qu’elles pouvaient vendre des baskets, et lorsque Virgil Abloh est arrivé, constate Fabrice Brovelli, président de General Pop et vice-président de BETC. Nous avons eu affaire à des gens confrontés à des situations dures dans leur jeunesse — Travis Scott et Jay Z sont d’anciens dealers —  qui se sont retrouvés d’un coup avec une énorme audience. Eux avaient ce complexe de pouvoir accéder à des richesses qui leur étaient interdites et de les arborer. C’était une sorte de revanche. » « Quand Run DMC cite Adidas et font l’avènement de la Superstar, c’est une première incroyable et quelque chose de vraiment novateur. Aujourd’hui, tout le monde essaie de surfer sur une tendance. »

I’m not a businessman, i’m a business man”.

Sean Carter alias Jay-Z

Un avis partagé par Eric Tong Cuong qui rappelle le cas du styliste new-yorkais Drapper Dan dans les années 80 qui utilisait les logos de Gucci, Louis Vuitton ou Fendi pour ses collections et est aujourd’hui porté aux nues. Il a d’ailleurs lancé une ligne avec Gucci en 2017. « Le marché des marques de luxe a changé en termes de clientèle. S’ils font tous des sneakers (de Chanel à Louis Vuitton), c’est que le marché a changé. »

En France, le rap est la musique la plus streamée, les marques s’associent donc logiquement avec certains de ses représentants pour asseoir leur street crédibilité et/ou atteindre leurs communautés et un public beaucoup plus large qu’il y a 20 ou 30 ans. Un revirement assez ironique quand on songe qu’une marque comme Lacoste, dont les collaborations avec Moha La Squale et Roméo Elvis ont été remarquées (avant d’être stoppées à la suite d’accusations d’agressions sexuelles), a longtemps refusé d’être associé aux rappeurs des années 80-90 qui en faisant leur marque totem.

Pour Eric Tong Cuong, l’exemple Tommy Hilfiger aux États-Unis est assez similaire au cas Lacoste dans les années 90’s. Aux États-Unis, contrairement aux Cubains, aux Mexicains ou encore aux Italiens, les Afro-américains ne semblaient pas communautaires — en supportant des marques possédées par des Noirs par exemple — et se tournaient plus volontiers vers des marques comme Tommy Hilfiger ou Lacoste justement. En échangeant par un concours de circonstances avec Danny Glover, celui-ci expliquait que cette démarche était « le signe de l’affranchissement : porter les mêmes marques que les blancs. » 

« Les temps changent, observe Nicolas Lévy, dans les quartiers à l’époque, Lacoste était un symbole à l’antipode de l’image des quartiers, il y avait donc une certaine subversion à porter cette marque. Lacoste n’en a pas saisi la portée et a tenté de lutter contre. Aujourd’hui, des marques comme Nike redirigent une partie de leur budget marketing offline sur l’influence et la présence dans les quartiers (avec Jordan Wings par exemple, NDLR), car elles savent pertinemment que la street cred du streetwear se fait dans les quartiers. Si ces marques parviennent à faire porter leurs produits sur scène ou dans un clip, cela vaut plus qu’une publicité en prime time pour une certaine audience. » 

« Aujourd’hui, les marques s’intéressent aux rappeurs, c’est certain, observe Damien Régnier. Ce n’était pas le cas par le passé. Arsenik était entièrement sapé en Lacoste, sur les visuels de leurs albums, dans leurs clips, etc., au grand dam de la marque ! Vingt ans plus tard, Lacoste sponsorise Moha La Squale et Roméo Elvis. Avec le succès que l’on connaît. » Un mariage de raison : « Il y a 15 ans, quand le rap n’était pas “rentable”, aucune marque ne s’y intéressait. Et très peu de producteurs se positionnaient sur ce genre musical. Le positionnement des marques sur ce genre-là est clairement opportuniste, mais c’est l’essence même du capitalisme ! Les dirigeants et les décideurs ne sont pas devenus fans de rap du jour au lendemain. »

Côté agence, Jérémie Bottiau explique que les marques souhaitant faire des partenariats avec des rappeurs sont soit guidées par un désir de visibilité ou pour s’acheter une crédibilité, « d’être “validé” par un rappeur et la street ». Pour lui il s’agit plus d’un simple contrat binaire pour ces artistes : « Pour travailler avec beaucoup de rappeurs, de Fianso, Vald, Koba LaD à Orelsan (sur Prime Video), j’observe qu’ils sont dans la co-création, ils maîtrisent totalement leur image, du packaging, au merchandising à la tournée, ils ne se font rien imposer. » Loin des grosses ficelles assumées du Wati B dans les années 2010 qui multipliait les placements produits peu subtils dans leurs clips. À l’instar de Ninho dans son dernier clip Jefe avec Winamax : mais est-ce que ça fonctionne ? s’interroge le créatif. 

« En France, la relation entre le rap et les marques n’est pas encore assumée, estime Nicolas Lévy. Les rappeurs français ont encore l’image subversive qu’ils n’ont plus vraiment aux États-Unis. De Pharrell Williams avec Chanel, Franck Ocean et Prada, ils bossent avec des grandes marques de luxe, mais aussi avec de grandes marques mainstream. Il suffit de voir le teaser de la mi-temps du Super Bowl de Pepsi qui réunit Eminem, Snoop Dogg, Dr Dre, Mary J Blige et Kendrick Lamar, un casting de malade qui fait directement référence aux hip-hop des années 90. »

Six ans en arrière c’est Coca-Cola qui s’associait avec le rappeur Akhénaton du groupe IAM. Si la marque n’a pas eu à souffrir de cette collaboration, le rappeur a dû se justifier pour cet « égarement ». Prendre le rap pour ce qu’il a de subversif n’est pas chose aisée pour les marques. Elle l’emploie en revanche volontiers lorsqu’il s’agit d’utiliser son phrasé, ou la diction élégante d’un Oxmo Puccino pour habiller une campagne avec un monologue (pour Audi et Nike), à l’image du récent film manifeste de la SNCF.

Comment expliquer cette frilosité, si ce n’est ce désintérêt des marques pour nos rappeurs français ? « Il y a un effet retard entre les générations musicales et celles qui décident, analyse Eric Tong Cuong de lachose. La musique urbaine, c’est plus de 60 % d’écoutes streaming, loin devant le Rock historique et classique. Il y a un vrai clivage générationnel ». Les élites décisionnaires n’écoutent-elles donc pas de rap ? Pourtant, contrairement à ce l’image revendicative qu’il pouvait avoir dans les années 80-90, le genre semble être devenu transgénérationnel, sa palette d’artiste s’étant très largement étendue à de nombreux univers et donc publics. 

« En France, nos rappeurs sont encore un peu trop subversifs, ils se battent dans les aéroports, se clashent, s’insultent, rendant les marques plus frileuses, ajoute Nicolas Lévy. Pourtant, si elles n’hésitent pas à utiliser cette musique dans les publicités ou les défilés, « aucune grande marques française n’assume d’avoir une star du hip-hop ou un rappeur comme égérie. » En France, notamment du côté des politiques, « le rap est encore un peu assimilé à la violence, aux quartiers et à la drogue ».

Pourtant, en travaillant sur Spotify, le DG de Steve a remarqué une « spécificité culturelle locale » : « Nous sommes le seul pays au monde où le top 10 des artistes les plus streamés sont des artistes locaux. Les Français adorent leurs artistes : PNL, Orelsan, Angèle, Roméo Elvis… Ces artistes, voyant un succès qui les dépasse, se sont posé la question de la diversification. De mémoire, le premier à l’avoir véritablement fait en lançant sa marque de fringues, c’est Booba. Les rappeurs des années 90, NTM, IAM, Mc Solaar, étaient fait par la scène, avec une intégrité musicale et une éthique tout sauf mercantile. » 

Il constate qu’aujourd’hui, les rappeurs nouvelle génération, plus millennials ont peut-être un rapport plus décomplexé au business, ils vendent moins de CD, et ont pour exemple des rappeurs US qui réussissent dans leur business, rappelant ainsi que Kanye West a presque « droit de vie et de mort » sur l’action Nike, adidas ou gap lorsqu’ils signent avec eux. « Le vrai succès pour eux, ce n’est pas simplement d’être disque de platine en lançant un album, mais de parvenir à se diversifier, d’être touche à tout, et aussi crédible dans les fringues, la musique et les contenus. »

Quelle place pour les maisons de disque ?

Alors que certains des artistes les plus populaires de la scène musicale française ont émergé des réseaux sociaux avec leur propre univers et une communication déjà rodée (d’Angèle à Aya Nakamura) quel est le rôle des labels aujourd’hui ? 

Damien Régnier, autrefois chez Universal Music (Barclay, Island / Motown France) et EMI, rappelle que si les labels ont des départements spécialisés dans ce domaine et sont forces de proposition, « personne n’impose rien à un artiste. Il a le dernier mot, toujours, en ce qui concerne l’association à une marque. L’artiste est au centre de tout. Il s’associe souvent à des équipes de management et à des spécialistes de ce domaine pour développer cet axe. Il gère parfois tout seul les demandes entrantes, car rien de plus simple que de contacter un artiste aujourd’hui. »

Fabrice Brovelli se rappelle la collaboration entre PUMA et Booba chapeauté par BETC : « Nous avions une relation directe et la condition sine qua non pour lui c’était que la sortie de la campagne coïncide avec la sortie de son dernier album. Il voulait qu’elle soit affichée sur le périphérique sur le 4×3 de 15 mètres de long qui marque le passage du centre vers la banlieue. C’était un deal win-win. »

Pour le partenariat entre adidas et Eddy de Pretto, plusieurs live à l’Élysée Montmartre, ancienne salle de boxe, c’est le label ou le tourneur qui aurait contacté adidas pour sponsoriser l’infrastructure nécessaire. 

« Le label a gardé l’envie de pousser les artistes dans les publicités, ce qui était un petit département hier est devenu un grand département aujourd’hui, note Nicolas Lévy. Pour un label qui lance un artiste, se reposer sur les passages radio et les écoutes Spotify c’est bien, mais si elle parvient à le placer artiste dans une publicité, c’est tout bénéf pour les labels. »

Des artistes comme PNL et Orelsan réussissent parfaitement à entretenir suffisamment de mystère et d’envie pour n’avoir à concentrer leur apparition (ou non-apparition) sur un instant T lors de la sortie d’un nouvel album. Nicolas Lévy décèle d’ailleurs dans le duo PNL « [s]es chouchous » une « énorme filiation intellectuelle avec Daft Punk pour le côté hermétique à tout business. Ils ont compris, en peu comme les Daft Punk à l’époque, qu’il fallait tracer leur route et ne pas se frotter à des choses trop mercantiles : ils sont auto-produits, ont leur propre label, font leurs clips, et organisent leurs concerts. Ils n’ont pas besoin d’aller fricoter avec des marques pour se faire connaître. »

Et ils auraient tort de se priver tant la fidélité et la loyauté des marques varient. « Le problème quand tu fricotes avec les marques c’est qu’elles retirent leurs billes au moindre remous, avant même de se poser la question du procès et de la responsabilité », souligne Nicolas Lévy en faisant notamment référence à Travis Scott et à la bousculade meurtrière du festival Astroworld.

« En ayant la démarche de l’indépendance, d’abord artistique, des gars comme PNL, Orelsan ou Nekfeu, ne s’entourent désormais que de personnes de leur entourage proche, “QLF”. Des personnes qui vont être producteurs et managers attitrés, souligne Jérémie Bottiau (Marcel). Le manager de Laylow s’occupe de tout et a même prévu un business plan sur un an pour cet artiste : des publications sur les réseaux sociaux, aux interviews qu’il va donner, en passant par les vêtements qu’il va porter. C’est impressionnant comme aujourd’hui tout est réglé comme du papier à musique. L’artiste paie pour toute une équipe comprenant la prod, le manager, le tourneur… c’est ça la vraie indépendance artistique. » 

Pour le créatif, cette indépendance s’est gagné des décennies en arrière grâce à des rappeurs comme Booba, IAM, NTM ou Assassin qui ont « essuyé les plâtres, fait des mauvais choix, se sont pété la gueule et se sont révélés. Ils ont connu le système des maisons de disques jusqu’à ce qu’ils se rendent compte que c’est elles qui avaient besoin d’eux, et non l’inverse. Aujourd’hui, les artistes qui démarrent se lancent seuls sur Soundcloud, Instagram, TikTok, YouTube, ils n’ont plus besoin des labels, car ils ont appris comment gérer une image, leur image. »

Ils travaillent leur album comme le lancement d’une marque ou le nouveau produit d’une marque. Cela peut paraître très marketé, on doit toutefois leur reconnaître que cela leur appartient puisque la plupart n’ont pas de maison de disque et ont signé en indépendant. « La maison de disque assure la distribution, et l’artiste contrôle absolument tout le reste. C’est intéressant de voir comment ils se marketent eux même. Cela apporte énormément de fraîcheur. »

« Cette génération s’est fait toute seule grâce aux réseaux sociaux et contrôle son image, sa musique et son art. Elle ne laisse personne interférer avec. On peut se dire qu’ils sont plus marqueté, à la différence qu’ils sont automarkété, la démarche est plus pure puisqu’ils sont plus maîtres de leur destin qu’il y a trente ans », appuie Nicolas Lévy.

La plus belle marque du rap français

Après avoir longuement échangé sur la relation entre rap et marques à mesure que le genre devient dominant en France et que les partenaires se multiplient, nous nous sommes demandé quelle était la plus belle marque du rap français. Il convient de préciser qu’il s’agit de la marque, au sens de l’artiste dans sa globalité (image, communication, etc.). Forcément les avis sont tous subjectifs et répondent à différentes attentes.

Eric Tong Cuong : «Stromae a du potentiel. Ce qu’il a fait au journal de 20h… Je n’ai jamais vu un blanc chanter au journal de 20h. Stromae vient du rap, c’est le Jacques Brel d’aujourd’hui disent certains, d’ailleurs Jacques Brel était aussi un rappeur. » 

Nicolas Lévy : « Cela se joue entre Orelsan et PNL. Orelsan parle plus marqueteurs, car ce qu’on voit c’est le créatif qu’on aimerait tous avoir : il a une capacité à trouver des idées pour émerger et parler à sa communauté. L’opération pour le lancement de son dernier disque est très bien automarkété. On voit les fils, mais le mec est très fort, tout est nickel, bien séquencé et malin entre la campagne de lancement du disque, le documentaire, le CD, le clip et la tournée et le ticket d’or. On a l’impression d’être chez L’Oréal avec trente personnes qui réfléchissent au plan média à déployer. Je suis bluffé par ses compétences marketing sans jamais transiger avec son exigence musicale. »

« PNL reste mes préférés, car j’y vois peut-être un poil plus d’authenticité et de magie. Ils font tous dans leur coin, n’ont jamais signé avec personne, ont un contrôle total sur leur image, leur deal et leur tournée. Par exemple, ils ne vont jamais annoncer une collaboration quelle qu’elle soit ou la marketer. Lors de la sortie de leur dernier album et celle du single Au DD, chacun des deux frères porte une veste Off White x PNL : elle n’a jamais été commercialisée, mais juste été commandée pour le clip. Deux jours après, on les voyait au premier rang du défilé, mais ce n’est pas le genre à tweeter pour dire ‘On est là’. Ils le font pour kiffer et par respect mutuel avec Virgil Abloh, sans dessein derrière. »

Une communication dans l’absence de communication, « comme le faisaient très bien les Daft Punk ou Bowie à son retour avec un côté punk DIY. Et ils ont mille fois raison. »

Fabrice Brovelli : « PNL, c’est un cas d’école. Ils ont des dossiers, ont eu affaire à la justice, c’est tout un clan. Des mecs de banlieue coiffés façon garçon coiffeur, qui font des clips bien faits, avec des mises en scène incroyables. Ils sont propriétaires de tout ce qu’ils font et de leur image, sont réellement associés à une banlieue dure ou ils sont référent, pour ne pas dire caïds, et toute une frange de la population se reconnaît en eux dont ils deviennent les porte-parole avec un style autotuné qui ressemblerait à de la variété anglaise. Ils ont imposé un style. »

Toutefois Fabrice Brovelli se dit « fan de NTM » : « Ils ont ouvert les portes et parlé d’une vraie revendication, d’une certaine banlieue qui n’avait pas accès à une grosse audience. Le monde de demain (réalisé par Stéphane Sednaoui) amène une force et une élégance qu’on n’avait pas vue jusque là. C’est la plus belle marque de loin. NTM, abrégé de Nique ta mère, c’étaient des mecs du 9-3 qui débarquaient dans la capitale et c’était un vrai choc. Il y avait cette violence sous-jacente portée par des clips incroyables, comme celui de J’appuie sur la gâchette, de Sébastien Janlak. C’était une force esthétique qui correspondait au moment où le métro était bondé, où des graffeurs ont émergé ensuite avec une culture street authentique qui ne cherchait pas à aller dans les défilés de mode. Le mercantilisme n’avait pas atteint le niveau d’aujourd’hui. Malgré deux séparations, c’est une marque qui remplit encore des Bercy. NTM avait mêlait réalité et sincérité, ils n’essayaient pas de devenir riche, mais d’exister. »

Jérémie Bottiau : « Pour parler de pure marque, le sans-faute c’est Orelsan. Stromae aussi, même si c’est moins rap et plus mainstream. Aujourd’hui, Orelsan fait une masterclass avec le documentaire, l’album, le ticket d’or… En termes de marque cette année, c’est le sans-faute ultime. » 

Damien Régnier : « Aujourd’hui, un artiste comme S.Pri Noir, sans être l’un des plus gros vendeurs (disque d’or sur ses deux premiers albums et plusieurs singles disque d’or, de platine, et de diamant à son actif tout de même) est un bon exemple de réussite dans ce domaine. Il a su développer au fil des ans un répertoire riche de titres forts et un univers singulier à travers ses contenus, ses visuels et ses clips. La justesse de ses lyrics, le soin porté à son image, et la puissance de son esthétique lui ont permis de travailler avec des marques prestigieuses, notamment dans le domaine de la mode. »







source : lareclame.fr

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