un second souffle pour la publicité en ligne ?

1 juillet 2021

5 minutes (ou presque) pour comprendre le Big Bang publicitaire de 2023.

Alors que le secteur de la publicité en ligne se préparait plus ou moins tranquillement au cataclysme annoncé il y a deux ans de ça par Google avec la fin des cookies tiers sur son navigateur Chrome, le géant du web a finalement repoussé leur suppression à 2023. Laissant un temps de répit supplémentaire au secteur pour s’adapter, tester et éprouver des solutions innovantes et alternatives.

Dans quel contexte s’est décidée cette annonce aux allures de big bang publicitaire ? Comment le marché se prépare-t-il ? Quels sont les impacts attendus pour l’industrie ? Quels autres grands défis se présentent après la fin des cookies ?

Un panel d’acteurs du secteur, plateformes, adtech et interprofession nous répond. 

Contextuel

Pendant plus de deux décennies, le cookie a été l’alpha et l’oméga de la publicité en ligne. Celui sur lequel la grande majorité de l’industrie se reposait confortablement pour cibler précisément un internaute et mesurer avec exactitude des campagnes publicitaires cross-canal. Et puis patatras : en 2018, Google annonce qu’il supprimera définitivement, d’ici 2022, les cookies tiers de son navigateur Chrome, qui représente alors — et encore — 64 % du marché des navigateurs web.

Un petit vent de panique s’empare de l’adtech face à ce big bang annoncé. Pourtant, la disparition des cookies tiers sur Chrome n’est que la touche finale d’un mouvement de fond entamé depuis plusieurs années répondant, en partie, à l’adoption galopante des adblockers (contre les publicités intrusives), mais surtout à la demande de plus en plus pressante des internautes de reprendre le contrôle de leurs données. Tout du moins, d’exiger plus de transparence sur la collecte et le traitement qui en est fait. 

« C’est grâce au cookie tiers que le marketing digital a pu se développer, car il est utilisé par les éditeurs, les annonceurs, les sociétés de l’Adtech/Martech, les grandes plateformes, bref, il est le fil conducteur entre tous les acteurs de l’écosystème digital, pointe Fabrice Leclerc, managing director France Quantcast. Il permet de comptabiliser et analyser les audiences, de suivre les internautes d’un site à l’autre et comprendre leurs habitudes, de trouver et cibler les internautes avec de la publicité qu’elle soit personnalisée ou non, de mesurer et de respecter les paramètres des campagnes publicitaires, de vérifier leur performance (ROI, CPA, CTR, Reach et répétition), etc. ».

« Si les identifiants multi-sites sont efficaces pour les spécialistes du marketing qui cherchent à justifier leurs dépenses publicitaires, ils sont souvent moins attrayants pour les consommateurs, qui s’inquiètent de l’exposition de leurs données personnelles sur Internet, rappelle de son côté Xavier Toulemonde, directeur commercial France de Xandr. Dans cette optique, les changements de réglementation et de politique de navigation, y compris la suppression des cookies tiers et des identifiants d’appareils, se font dans l’intérêt du consommateur, afin de lui permettre de mieux contrôler comment et avec qui ses informations sont partagées. »

La défiance des internautes envers des outils qu’ils ne comprennent pas pour des finalités mercantiles dont ils ne « profitent » pas a conduit à un effort important de régulation et de réglementation (collecte, traitement, consentement, RGPD, recommandations de la CNIL, etc.) ces dernières années. « Depuis 2010, le marketing digital est programmatisé, automatisé, algorithimisé du fait d’une abondance de la donnée connectée autour d’un marqueur digital très simple à utiliser, “comoditisé, explique de son côté Thomas Allemand, senior adtech & supply director de Jellyfish. Ce qui a engendré différentes pressions des utilisateurs quotidien de navigateurs qui ont pris conscience de l’utilisation de leurs données à grande échelle sans comprendre ce qui se jouait derrière. » 

Après avoir ouvert les vannes, les navigateurs se sont emparés de ce sujet pour en faire un axe de différenciation. Comme on le voit aujourd’hui avec cette publicité très explicite pour le nouvel iOS d’Apple et son App Tracking Transparency (ATT). 

La disparition des cookies tiers répond ainsi à une démarche structurante avançant par petites touches successives. Elle intervient après celle opérée sur Safari par Apple en 2017 (Intelligent Tracking Prevention – ITP), et par Mozilla sur son navigateur Firefox (protection renforcée contre le suivi – ETP) depuis septembre 2019. L’annonce de Google anticipe donc l’inéluctable pour laisser au marché le temps de s’adapter.

Ce qui fait dire à Yann Blat, general manager strategic account de The Trade Desk que la fin des cookies tiers « n’est pas du tout un enjeu » : « La croissance du secteur pour tous les acteurs de l’adtech ne repose déjà plus sur les cookies tiers. Après l’annonce de Google, la navigation internet depuis un ordinateur ne représente qu’une petite part de la publicité numérique. Part qui ne cesse de diminuer : 20 % environ de la navigation internet repose sur une stratégie des cookies tiers. » À l’inverse, les autres canaux ne reposant pas sur les cookies, mais essentiellement sur des identifiants de connexion, réalisent une croissance importante, comme le DOOH, les app mobiles, l’audio numérique (podcasts, etc.) et surtout la télévision connectée (où l’on peut accéder à Netflix, Deezer ou YouTube par exemple).

Certaines entreprises n’ont d’ailleurs pas attendu Google et son annonce pour construire leur modèle sur des solutions/offres 100 % cookieless.

Prêt(s), partez ?

La fin annoncée des cookies tiers induit nécessairement pour le secteur de se réinventer, surtout dans un monde encore très cookies, relève Mykim Chikli, CEO EMEA de Weborama. « L’inventaire publicitaire de l’open web vs les walled gardens représente environ 70 % des audiences. Dans un monde sans cookies, cet inventaire va se subdiviser en deux parties, avec d’un côté les acteurs du marché bénéficiant d’un inventaire identifié ou logué, et de l’autre ceux avec un inventaire non logué. » L’univers logué sera plus restreint selon elle, car, même abonné à un média en ligne, un internaute ne s’identifie pas systématiquement pour consulter un contenu accessible gratuitement. 

C’est un « vrai changement de paradigme », rappelle Julie Walther, COO et co-fondatrice de Qwarry : le cookie étant la « monnaie d’échange » de l’écosystème depuis 20 ans. « Annonceurs et publishers vont devoir identifier des solutions alternatives. Ces changements vont nécessairement impliquer énormément d’innovation pour trouver d’autres moyens de faire du ciblage de manière intelligente. »

Comme l’a rappelé l’ensemble des interviewés, les cookies tiers comportent de nombreux biais (intégrés nativement). Sa disparition représente donc une opportunité pour les différents acteurs du secteur. Notamment de « découvrir, “shortlister” et tester des solutions alternatives, relève Augustin Decré, pilote de la Task Force Cookieless de l’IAB France. Au moins celles que l’on peut tester, car tout l’enjeu est de comparer ces solutions aux cookies tiers tant qu’ils sont là. Il faut impérativement mesurer les différences et les avantages des uns par rapport aux autres. » 

Il poursuit : « Il y a aussi une part d’information de l’écosystème et notamment les dirigeants qui ne sont pas directement liés à l’opérationnel, car c’est une révolution ! Certaines propositions pourraient faire de notre industrie les passagers d’acteurs globaux… Alors que nous devons rester maîtres du jeu et de notre destin. »

Pour Thomas Allemand (Jellyfish) : « C’est l’occasion pour un annonceur de s’approprier ses données first party (collectées directement par les entreprises, par exemple sur leurs sites web), de construire des architectures technologiques lui permettant une appropriation réelle et profonde de la donnée et de ne pas les déporter vers une DMP (Data Management Platform). Dans ce mouvement, il peut y avoir des avantages compétitifs qui se créent pour les annonceurs qui auront travaillé cet aspect-là. »

Même écho du côté de Dimitri François, GTM Sales Lead – Adobe Experience Platform – Data & Insights chez Adobe : « Une stratégie first-party data est le futur de toute relation client, qui permettra aux marques d’offrir la meilleure expérience client. Aujourd’hui cette donnée first-party est largement sous-utilisée. » 

En effet, alors que l’ère des cookies tiers touche à sa fin, les données natives sont également au centre de l’attention pour Usercentrics. « Pour toutes les entreprises qui ont une présence en ligne, il sera crucial de construire des relations solides avec leurs clients, estime Juergen Weichert, CRO de la solution CMP. Par conséquent, les entreprises devraient se concentrer sur la création d’une base de données natives de haute qualité. »

Chaque acteur se prépare selon son exposition au risque associé à la disparition du cookie tiers. Jellyfish voit le cookieless « comme une bonne chose, car le marqueur d’identification digital qu’est le cookie tiers (une commodité technologique) a amené le marché à ne pas toujours se poser comme questions, “qu’est-ce qu’un marqueur d’identification ?”, “quels sont ses avantages et ses inconvénients ?” Le cookie est gratuit, avec peu de coûts associés à son dépôt, mais comporte de nombreux inconvénients, notamment d’être volatile et sans pérennité garantie puisque chaque fois qu’un internaute efface les cookies de son navigateur, tous les efforts et informations associées sont perdus. » 

Faire sans, engendre donc une nécessaire adaptation : « Au sein de l’Udecam (Union Des Entreprises de Conseil et d’Achat Media), nous exploitons tous les formats, nous sommes agnostiques et très ouverts, assure Jean-Baptiste Rouet, président de la Commission Digital de l’Udecam. Nous disposons à la fois d’un groupe de travail qui avance sur ce que propose Google comme alternative avec Privacy Sandbox, et un autre qui collabore avec l’open web adtech, globalement non GAFA, autour du Projet Rearc de l’IAB Tech Lab sur l’élaboration de nouveaux standards : un framework acceptant aussi bien Privacy Sandbox, de l’identifiant, et du contextuel. Le tout privacy by design. » 

À l’heure actuelle, l’ambition de l’Udecam est de pouvoir réaliser des bêta test A/B testing entre un ciblage sur une base cookies et un ciblage basé sur les cohortes – FloC pour Federated Learning of Cohorts (Apprentissage Fédéré des Cohortes) – afin de comparer les performances sur différents types de campagnes (branding, vidéos vues, génération de lead ou ventes en ligne).

C’est notamment l’objet du partenariat avec The Trade Desk et plusieurs acteurs du marché autour d’un identifiant interopérable et open source, Unify ID. Comme l’explique l’Udecam, le succès du ciblage par identifiant dépendra de sa portée. Avec le cookie tiers, le cookie matching dépassait difficilement les 35 %.

Pour Xavier Toulemonde, directeur commercial France de Xandr, l’industrie se trouve « aux prémices d’un Nouveau Monde publicitaire : un équilibre entre le respect des préférences des consommateurs en matière de vie privée et le soutien à l’Open Internet qui est nécessaire. L’abandon des cookies tiers permet au secteur de mieux accueillir la transparence et d’encourager une plus grande collaboration entre tous les acteurs de l’écosystème. L’objectif n’est pas de trouver un remplacement à l’identique des cookies tiers, mais plutôt de redéfinir les différentes solutions d’identité possibles d’une manière qui démontre l’échange de valeur et qui place le consommateur au premier plan. »

Comme l’explique Yann Blat, Unify ID, projet architecturé par l’IAB Tech Lab, dont Trade Desk s’est inspiré, est une réponse à la problématique de l’identification. « D’une manière générale, le travail n’a pas été bien réalisé par l’industrie pour expliquer aux internautes la valeur d’échange d’internet. Tout le monde a pris l’habitude qu’internet soit gratuit. Pour cela, il est financé par la publicité et les sites éditeurs monétisent leur ciblage. Sans publicité, l’éditeur va être obligé de faire payer l’accès à son contenu. »

Payer ou accepter les cookies ? Après s’être opposée à cette pratique avant d’être déboutée par le Conseil d’État, la CNIL décidera au cas par cas si le consentement des personnes reste libre et si un cookie wall est autorisé légalement ou non. 

En plaçant le consommateur au centre du dispositif, Unify ID entend re expliquer la valeur d’échange d’internet aux individus : pour visualiser moins de publicités, car celle-ci sera ciblée et limitée, il faudra fournir une adresse email qui permettra la création d’un identifiant crypté pour toute base de ciblage. Une solution d’identification SSO (Single Sign-On) sur mobile et desk comme Apple en propose.  

Pour BeOp, cette solution est une fausse bonne idée : « Il y a beaucoup d’illusions et trop de temps passé autour d’initiatives visant à créer des ID communs, explique Louis Prunel, CEO de la solution adtech. L’étanchéité entre sites (et apps) va devenir quasi parfaite, et peu de sites auront plus de 2 % de visiteurs logués en moyenne. L’urgence est de monter en compétence dans l’utilisation de solutions contextuelles, disponibles elles sur 100 % des utilisateurs. »

Pour parer aux cookies, Seedtag a depuis longtemps opté pour le ciblage contextuel grâce à une technologie propriétaire capable de comprendre le sujet, le ton et le contenu d’un article web. « Elle permet d’insérer de la publicité sur un article (texte, vidéo ou images d’illustration) en fonction de la thématique traitée plutôt que des données personnelles des internautes », explique Clarisse Madern, country manager France de l’entreprise. Cette technologie permettrait d’améliorer le nombre de clics de 118 % en moyenne, et le taux de clic de 0,9 %.

Chez Teads, on ne cherche pas de « solution miracle qui va remplacer le cookie, mais une combinaison de solutions qui vont s’adapter aux différents use cases que proposaient jusqu’alors les cookies tiers (targeting approach, unique ID, publishers 1st party data, predictive Audience, browser Based initiative, contextual) », explique Hugues Templier, head of data continental Europe & MENA de Teads. Le tout couplé à une réorganisation des équipes (nouveaux partenariats, discussions avec les publishers pour la partie tech et légale, équipe dédiée à la Privacy Sandbox pour faire une veille d’informations). L’entreprise se dit « fière » d’annoncer que la plateforme va devenir la cookieless plateforme. Une plateforme self-serve pour créer, planifier et mesurer des campagnes dans un monde 100 % sans cookie.

« Le dernier point, probablement le plus important, est d’intégrer l’utilisateur dans les solutions alternatives et de lui donner le choix, martèle Augustin Decré (IAB). C’est d’ailleurs le cas de la plupart des solutions que nous étudions. Nous sommes dans l’ère du consentement explicite et nous devons aussi garantir à l’internaute un accès à un internet libre et gratuit. Et cela passe par un financement des médias par la publicité et surtout par une industrie concurrentielle avec une multitude d’acteurs différents et non pas par une concentration de quelques plateformes. » 

Un réel impact ?

La fin programmée des cookies tiers aura un impact évident sur l’​économie du marketing digital. Mais certaines choses ne changeront pas. « Nous serons toujours en capacité de traquer des actions dans les campagnes, souligne Julie Walther (Qwarry) : Ce qui ne va pas changer, c’est la mesure des impressions, des clics, la visibilité, la complétion des vidéos, la couverture sur cible, l’activation des données contextuelles ou encore l’adverification. »

Même son de cloche du côté de Quantcast pour qui l’impact ne s’observera pas tant au niveau de l’achat d’espaces publicitaires, puisqu’il sera toujours possible de délivrer des impressions que ce soit pour cibler un groupe d’internautes (en utilisant des techniques de ciblage contextuel ou des « cohortes ») ou un consommateur en particulier (qui aura accepté de partager ses données personnelles et qui sera identifié par les technologies d’ID ou parce qu’il se sera « loggué » sur un site).

« Nous pensons que le défi est surtout lié à toutes les métriques concernant l’attribution, explique Fabrice Leclerc : comment prouver que la publicité a été délivrée devant le bon internaute, au bon moment, sur le bon site ? Comment s’assurer que la répétition reste maîtrisée ? Sera-t-il toujours possible de construire un tunnel de conversion ? Etc. »

L’Udecam y voit une « opportunité extraordinaire » pour l’open web. Avec parfois 5 cookies différents derrière un seul individu, il y avait une tendance à surestimer la couverture d’une campagne de branding et sous-estimer la répétition, générant un problème d’attribution. « L’identifiant devrait réguler les biais statistiques observés sur le cookie. » Ce qui fait dire au président de la Commission Digital que Google n’a peut-être pas pris une si bonne décision en voulant se placer au-dessus de la réglementation et des lois comme le RGPD.

« Google va construire ses cohortes sur la base de données déterministes sur lesquelles il aura dû obtenir le consentement : c’est-à-dire les bases des comportements de trafic sur Chrome obtenant ainsi moins de pertinence selon les cibles. Le consommateur utilise de plus en plus de devices n’intégrant pas de cookies. L’identifiant sera plus robuste et holistique en termes de couverture d’une user journey, il va réconcilier l’écran TV, la console de jeux, le frigo connecté, l’ordinateur, etc., que ce soit in app ou sur le web. »

Teads s’affiche « sereins et confiants » puisqu’il y aura une certaine continuité : « Cette nouvelle ère ne signifie pas moins de personnalisation, moins de pertinence ou d’efficacité média », rappelle Hugues Templier. Il est toutefois nécessaire d’entamer une transition vers une publicité plus responsable et moins intrusive pour l’industrie publicitaire estime la plateforme. « Il est temps que la personnalisation non intrusive devienne la norme. C’est dans l’intérêt de tous, mais surtout de l’utilisateur final. C’est pourquoi il doit rester au centre de l’écosystème : c’est lui qui va accepter la publicité et faire vivre l’industrie. Nous devons évangéliser pour aboutir à un système pérenne, sinon, même en travaillant la technique, avec l’utilisateur contre nous, cela ne fonctionnera pas. »

Pour la country manager de Seedtag, Clarisse Madern, « la fin des cookies tiers nous permet surtout de voir que c’était une méthode de ciblage qui n’était pas forcément la plus rentable ! » « Le reach du cookie n’a fait que s’émietter au fil des années. L’outil n’était pas forcément la panacée, appuie Julie Walther de Qwarry..

L’IAB voit le marché passer d’une solution majoritairement utilisée depuis 25 ans, dont on connaît les limites et certains défauts, connue et maîtrisée par tous les acteurs de la publicité en ligne, des internautes et du régulateur, à des alternatives qui ont des objectifs et des performances différentes et qui ne couvrent qu’une partie des fonctionnalités des cookies.

« Aucune des solutions alternatives ne permet de remplacer intégralement les cookies tiers. Il faudra donc utiliser plusieurs solutions, avance Augustin Decré. Cela veut dire différentes expertises, différents outils donc plus de travail pour un résultat équivalent. Certaines solutions sont plus performantes, mais ont moins de reach, d’autres sont moins précises, mais offrent des mises en place simples et rapides… C’est une révolution et la plupart des outils que nous utilisons vont changer ou évoluer. »

Pour Thomas Allemand de Jellyfish, les annonceurs doivent donc se demander : quelles sont ces clés d’usage qu’il est plus important de rendre résilientes à la fin du cookie tiers ? Comme le rappelle Teads, l’impact de cette transformation va toucher tous les éléments de l’univers digital : l’activation média, la gestion des campagnes (optimisation et frequency capping), le reporting (va-t-on vers un effet de silos ?), puis la mesure et l’attribution. 

« Le volume des campagnes de retargeting va considérablement diminuer, prédit Louis Prunel (BeOp). Les solutions data vont se concentrer sur l’amplification des données d’utilisateurs logués ou non grâce à des fonctionnalités de lookalike appliquées aux visiteurs non logués. Les solutions contextuelles vont devenir le principal outil de ciblage ».

Le tracking va être fatalement repensé. Que restera-t-il à l’industrie de la publicité en ligne ? Le ciblage d’audience, puis le ciblage sémantique et first party, prédit Mykim Chikli. « Weborama se prépare depuis dix ans à offrir une solution aux annonceurs et éditeurs 

100 % cookieless, même IDless. Elle permettra de réaliser un ciblage publicitaire très précis avec un volume très important et une puissance considérable grâce à une IA sémantique, GoldenFish, qui reproduit quasiment l’analyse humaine sur une base de données de plus de 200 millions de pages actives ou URL ». L’entreprise promet ainsi des « CPM sont très compétitifs : – 30 – 40 %, et un taux de clic légèrement meilleur qu’avec cookie, notamment pour le native advertising. »

Qwarry mise également sur la contextualisation sémantique, à côté de l’identifiant unique et des données first, pour permettre aux éditeurs d’identifier de nouvelle façon de monétiser leur audience. « Le micro ciblage à l’utilisateur va quasiment disparaître même si l’alternative des identifiants va le permettre, mais sur des volumes très faibles. C’est tout l’arbitrage qui s’effectue entre la précision, les audiences adressage et le reach disponible, explique Julie Walther.

Sans cookies tiers, les éditeurs risquent d’assister à une baisse de leurs revenus publicitaires à mesure que la portée ciblée devient limitée, prédit Xandr. “Dans leur ensemble, les identifiants alimentent l’échange de valeur qui permet aux éditeurs de générer du contenu de qualité, gratuit, et premium pour les consommateurs. Une perturbation de cet échange de valeur entraînera une augmentation des paywalls, des demandes de connexion et des abonnements au contenu. En conséquence, les consommateurs risquent d’être confrontés à des publicités moins pertinentes et d’être de plus en plus frustrés par le modèle publicitaire”, alerte Xavier Toulemonde.

Même constat du côté des annonceurs qui s’appuient aussi largement sur les identifiants en ligne et hors ligne pour atteindre leur audience, gérer les messages créatifs (quelle publicité et à quelle fréquence) et mesurer l’efficacité de leurs campagnes publicitaires. “Dans certains cas, les solutions contextuelles peuvent aussi être une alternative pour les acheteurs qui peuvent se concentrer sur le parcours du client pour diffuser des publicités pertinentes et adaptées au contexte.

Au milieu de ces bouleversements et changements de stratégie en matière de données, les annonceurs doivent saisir l’opportunité de fidéliser leurs clients : “La transformation actuelle vers un internet respectueux de la vie privée oblige littéralement les marques à gagner la confiance de leurs utilisateurs au quotidien (notamment pour s’assurer l’accès à des données natives). La vie privée en ligne ne sera plus perçue comme un sujet juridique et de conformité, mais comme ce qu’elle est : une opportunité pour les marques de fidéliser leurs clients et, si elle est mal gérée, un risque potentiel pour la valeur de la marque”, prédit Juergen Weichert de Usercentrics. 

Les défis de l’après cookieless

Quel visage prendra la publicité en ligne après la disparition définitive des cookies tiers ? L’industrie a toujours évolué au gré des innovations technologiques et s’adapte en permanence. Elle devrait également passer ce cap sans trop d’encombres et donner naissance à une nouvelle vague d’innovations.

  • L’utilisateur au centre

L’un des principaux défis sera de repenser complètement la façon dont l’analyse et le ciblage publicitaire sont réalisés, tout en conservant l’objectif de maintenir un niveau élevé de performance, prédit Julie Walther de Qwarry. Les annonceurs seront toujours en recherche de performance.

Tout l’écosystème doit sortir du cadre de l’utilisateur en termes de données utilisateur pour aller se concentrer vers d’autres sources de données. Cibler des utilisateurs en fonction d’intérêts immédiats et de contenus lus. Non plus en tentant de le retraquer et de tout savoir de lui.

Qwarry milite logiquement pour le ciblage contextuel et surtout sémantique comme “alternative crédible”, celle-ci s’affranchissant des contraintes technologiques et réglementaires tout en permettant d’atteindre 100 % du reach d’une cible de l’annonceur.

Pour Teads, le défi de l’après-cookie va au-delà du simple défi technique et technologique : “Le cookieless est un défi qui est en train de restructurer et réorganiser l’ensemble de l’industrie. Le grand défi pour toutes les entreprises sera de réussir à prendre le virage et de proposer des modes de personnalisation et de ciblages qui soient non-intrusifs et efficaces tout en étant pérennes et responsables”, explique Hugues Templier. “En tant qu’industrie, nous avons besoin de regagner la confiance de l’utilisateur en remettant ce même utilisateur au centre de l’écosystème publicitaire. Nous avons besoin d’utilisateurs ‘loyaux’, qui acceptent de s’identifier et de donner une partie de leur data pour accéder à du contenu de qualité. La pédagogie va être clé.

Un avis partagé chez The Trade Desk : “Avec tous ces sujets de privacy et de data, une sorte de paranoïa s’installe, estime Yann Blat, l’industrie finit par perdre tout le monde. Il est nécessaire de replacer le consommateur au centre du dispositif, de lui redonner le contrôle pour redonner confiance à tout l’écosystème.

Chez Usercentrics, la vie privée sera un paramètre incontournable de l’après : “Lorsque nous parlons à nos clients, nous leur recommandons d’amorcer ces changements, d’élaborer dès maintenant des stratégies de données natives et de s’assurer qu’ils disposent d’une stratégie et d’une configuration technologique respectueuse de la vie privée. Cela ne peut que constituer un avantage concurrentiel, estime Juergen Weichert. Nous avons confiance dans le pouvoir de l’internet et nous sommes convaincus qu’au final, nous verrons un meilleur web et des expériences d’applications meilleures et plus respectueuses de la vie privée.

Une confiance qui passera sans doute également par la mesure, prédit Mykim Chikli de Weborama : “Le marché va devoir adopter de nouveaux paradigmes puisque le cookie ne donnera plus de façon détaillée, les performances d’un site à l’autre. Cela va donner un avantage très certain au walled garden et il sera plus compliqué pour les annonceurs de s’y retrouver avec des campagnes déployées sur les publishers comme Le Monde notamment.

Pour Thomas Allemand de Jellyfish, la mesure est donc “essentielle” : “Sinon, qu’est-ce qui drive la performance sur mes sites, apps, leads en magasins et ventes offline ? Je ne peux plus discriminer mes différents leviers si je n’ai pas construit de système de mesure résilient à la fin des cookies tiers. […] Mesurer, c’est être capable de discriminer les différentes activations en marketing digital : social, programmatique, etc. C’est le sujet majeur pour déterminer, demain, ce qui génère de la performance et n’en génère pas.

  • Gouvernance de la donnée 

Exploiter la donnée est un avantage compétitif (et les solutions technologiques pour y parvenir sont là – comme l’IA), mais cette course doit être avant tout parfaitement encadrée et s’appuyer sur des processus éprouvés et sécurisés, avance Dimitri François d’Adobe. Ainsi, la gouvernance de la donnée est le premier grand défi à venir, avec l’enjeu pour les marques de construire une relation directe avec leurs clients, basée sur la confiance.”

  • La fin de l’IDFA, bientôt sur Android ?

Avec la fin des cookies tiers sur Chrome, l’annonce d’Apple de faire de l’IDFA (IDentification For Advertisers, soit l’identifiant pour les publicitaires) une fonction opt-in sur iOS 14, a également ébranlé l’industrie. 

L’Udecam, accompagnée de l’IAB France, de la MMAF et du SRI a porté plainte contre Cupertino l’année dernière auprès de l’Autorité de la Concurrence. Si cette dernière a rejeté la demande de mesure conservatoire, estimant qu’il n’est pas possible de prouver l’existence d’une pratique anti-concurrentielle, l’enquête se poursuit autour du module de sollicitation ATT (Apple Tracking Transparency) mise en place par la firme à la pomme. Celui-ci n’est pas RGPD compliant, ni personnalisable rappelle Jean-Baptiste Rouet de l’Udecam. “Si ce formulaire ATT se popularise auprès des détenteurs d’iPhone, le secteur de la publicité en ligne peut perdre un chiffre d’affaires potentiel sur 27 % de la population”. 

Une initiative qui pourrait donner des idées à Google dont l’OS Android dépasse les 75 % de parts de marché en France. “En mai 2018, au moment de la mise en œuvre du RGPD, Google demande aux éditeurs web de qualifier la nature des traceurs sur leur site pour différencier les third party, des first party tag. Ils sont en train de faire la même sur Android”, prévient encore le président de la Commission Digital de l’Udecam. La phase 2, et “l’effet kisskool” de Privacy Sandbox, vont forcément se produire sur mobile signant la fin probable de l’ID Android. Les identifiants risqueraient d’être bloqués/masqués, comme Apple le propose déjà sur sa flotte mobile. » Une initiative de plus des gatekeepers pour bloquer les démarches de l’open web ? Jean-Baptiste Rouet souligne que l’Autorité concurrente enquête également sur ces sujets-là.

En écho aux enjeux de privacy et de concurrence déloyale, The Trade Desk estime impératif de « sauvegarder un internet équitable, qui soit compétitif et ouvert sur lequel on pourra continuer de défendre les modèles économiques de chacun et la liberté d’expression ». Car, comme le rappelle Yann Blat, malgré la mise en œuvre du RGPD, près 8 Français sur 10 — soit 77 % — se disent préoccupés par la collecte et l’utilisation de leurs données sur internet. Et 74 % d’entre eux pensent que les informations fournies sur ces sujets-là sont difficiles à comprendre (Source The Trade Desk). « Le travail d’éducation sera l’un des enjeux futurs ».

Il distingue ainsi le ciblage, du profilage et du tracking, puisque le choix sera donné à l’utilisateur d’être, ou non, exposé à de la publicité ciblée. D’après une étude de l’entreprise réalisée en mai 2021, ce manque d’information et de transparence a entraîné une réticence des internautes à partager leur data en ligne. « C’est le problème de tous, et notamment pour la pérennité des éditeurs de site dont les revenus dépendent de la publicité ».

« C’est là que se situe le grand défi de l’internet libre et ouvert : convaincre les annonceurs de dépenser leurs budgets publicitaires dans des environnements autres que ceux des jardins clos des grandes plateformes qui ont une masse d’informations inégalées sur leurs utilisateurs et pour qui la disparition du cookie tiers n’aura qu’un impact limité, explique Fabrice Leclerc de Quantcast. L’internet libre et ouvert est en grande partie financé par les budgets publicitaires. Cette publicité contribue à la richesse et à la variété des contenus auxquels les internautes peuvent accéder gratuitement et sans avoir à se “logguer” non plus. »

  • La digitalisation de la télévision

Et si la disparition des cookies accélérait, voire renforçait la digitalisation des écrans de télévision ? C’est le pari de Jellyfish : « Il n’y a aucun cookie tiers embarqué sur la TV, le cookie n’est pas multi-écran, pas applicatif, mais les habitudes des annonceurs sont ancrées dessus. Malgré sa qualité mass media, la poursuite du cookie tiers aurait ralenti l’intérêt annonceur pour la digitalisation de la télévision, estime Thomas Allemand. Avec un travail d’identification différent, on peut imaginer qu’il sera beaucoup plus simple d’intégrer un écran de télévision au fur et à mesure de sa digitalisation dans un mix media digital. Cela prendra un certain temps, car la télévision entame sa transformation digitale. »

  • L’empreinte carbone du web

« Le prochain grand défi qui va se profiler est la maîtrise de l’impact carbone du web et de la publicité. Par exemple, le fonctionnement actuel de la publicité programmatique fait appel à des centaines d’infrastructures pour un seul affichage, ce qui est extrêmement inefficace sur un plan énergétique », rappelle Louis Prunel de BeOp.

Pour Seedtag, la publicité digitale n’échappera pas aux enjeux écologiques. « Ils prennent de plus en plus de place dans notre industrie, parce que nous sommes conscients que le numérique pollue beaucoup et selon les sondages, il polluera de plus en plus, souligne Clarisse Madern. Les acteurs du numérique réfléchissent aux moyens de rendre leurs technologies plus durables et plus respectueuses de l’environnement avant que la législation ne les y contraigne. »

Cookieless 2023

Sans prévenir, Google a finalement repoussé la fin des cookies tiers sur son navigateur Chrome en 2023. Laissant un peu plus de temps au secteur pour s’adapter et trouver de nouvelles alternatives, comme le soulignent Weborama, Qwarry, Xandr ou Usercentrics. Cela change-t-il vraiment la donne ?

Si l’IAB relève une « sage décision », la solution Privacy Sandbox n’étant manifestement pas prête à être déployée (pas de tests possibles en France, incertitudes des acteurs sur différents aspects), le pilote de la Task Force Cookieless de l’association espère désormais que ce report soit « significatif pour l’industrie et ne soit pas simplement une occasion pour Google de gagner du temps par rapport aux enquêtes en cours. »

« Nous attendons donc beaucoup des prochains mois et nous resterons vigilants pour assurer que les outils proposés par Google soient bénéfiques pour les utilisateurs comme pour les autres acteurs du marché et soient fondés sur une approche équitable en matière de concurrence. » Par ailleurs, ce report « ne doit pas ralentir les réflexions en cours de l’industrie autour d’initiatives innovantes qui ont déjà émergé (REARC, Unified ID, SWAN, solutions contextuelles, etc.) qui allient opportunité et performance publicitaires pour les éditeurs et les marques avec respect de la vie privée de l’utilisateur. »

Pour d’autres acteurs, ce report n’apporte pas de changement majeur : « L’absence de cookies reste une réalité pour une part importante du trafic (40 % en France et plus de 50 % au UK et aux US), et constitue donc toujours un axe stratégique. […] La dépréciation des cookies sur un angle technique est ralentie, mais la pression légale et sociétale reste forte ! », explique-t-on ainsi chez Teads.

C’est pourquoi « les départements marketing doivent continuer à mettre en œuvre des méthodes d’achat et de mesure “future proof”, respectueuses de la vie privée », estime-t-on chez Jellyfish.

Pour Seedtag, le report de la suppression des cookies tiers à 2023 est « logique » puisque « sa solution alternative FLoC a été largement boycottée, et beaucoup d’éditeurs ne sont pas encore prêts à se passer des cookies. » En revanche, « cette décision est dommageable parce que, très largement, les internautes, mais aussi les régulateurs, ont demandé la fin des cookies. »« Les décisions d’un seul acteur de l’adtech ont un impact fondamental sur la pérennité et la façon dont opère tout un écosystème. Et dans une certaine mesure cet acteur se substitue presque aux régulateurs, note pour sa part Fabrice Leclerc, managing director France de Quantcast. Il note qu’il s’agit simplement d’un report et non d’une annulation : “Retarder ou suspendre les investissements et efforts pour trouver des solutions alternatives équivaudrait donc à troquer la période d’intense activité de 2021 pour une période d’intense activité en 2023. Il reste crucial de garder le cap pour trouver une solution durable pour l’avenir le plus tôt possible.







source : feedproxy.google.com

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