Quâil paraît loin le temps où lâindustrie du jeu vidéo, dont lâhypersexualisation de ses personnages féminins et lâomniprésence d’homologues masculins puissants, s’adressaient seulement aux hommes. Si vous en doutiez encore, une étude publiée en mars 2021 par le SELL â le Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisir â et Gametrack, nous révélait que les Françaises représentaient dorénavant 51 % des personnes jouant au moins occasionnellement aux jeux vidéo, avec 400 000 nouvelles adeptes rien quâen 2020. Une tendance imputée à lâépoque au confinement, certes, mais qui traduit une féminisation progressive du medium vidéoludique, née bien avant le Covid-19, comme en témoignent par exemple les précédentes études du SELL sur cette thématique. Pourtant, si le profil type des joueur.se.s évolue dans le bon sens, il nâen est â presque â rien, de celui des personnages qui les accompagnent et des employés chargés de leur donner vie.
En 2022, plus dâun milliard et demi de joueuses peuplent donc notre planète. Pourtant, elles ne représentent que 22% des employés au sein des studios de développement. Une véritable mainmise de la gente masculine sur la production vidéoludique qui nâest évidemment pas dépourvue de conséquences. Nous pourrions évoquer le nombre dramatique dâagressions sexuelles au sein des principaux éditeurs et studios de développement révélées ces dernières années par les hashtags #1ReasonWhy et #gamegate. Une cascade dâaffaires judiciaires qui aura eu le mérite de dévoiler des process de travail tout bonnement inhumains concoctés par des conseils dâadministration essentiellement masculins qui se croyaient tout permis. Mais nous nous attarderons ici sur une autre de ses répercussions, beaucoup plus insidieuse mais tout aussi dommageable : lâhypersexualisation des avatars féminins. Merci Tomb Rider.
La révolte du « beau sexe »
Lâindustrie du jeu vidéo, et même du divertissement dans son ensemble, continue à véhiculer des représentations stéréotypées et sexualisées des femmes, à lâinverse des hommes, qui ont une réelle â et néfaste â influence sur notre imaginaire collectif. Dâaprès une étude réalisée en mai 2020 auprès de 122 joueuses dans le cadre dâun mémoire de fin dâannée à LâUniversité Catholique de Louvain, près de la moitié des répondants estimaient que les personnages féminins leur renvoyaient généralement une image dégradante, 49% déclarant ainsi ne pas réussir à sâidentifier aux représentations féminines dans les jeux vidéo actuels. Sâil y a eu des efforts remarqués ces dernières années, force est de constater que le chemin est encore long pour enfin sâéloigner de ces clichés. Lâassociation Women in Games, qui Åuvre pour plus de mixité dans cette industrie, souhaite donc interpeler le public et les studios de développement sur la représentation des femmes dans les jeux.
Pour illustrer cet état des lieux grotesque et mettre en évidence ces stéréotypes aberrants, Women in Games et lâagence BETC présentent #GenderSwap : une expérience qui revisite les plus grosses licences de jeu en échangeant les animations des personnages des deux sexes. Grâce une multitude de mods â (des modifications dâun jeu existant par une personne tierce, se présentant sous la forme de greffons quâon ajoute au titre original) â recensés en ligne ou développés pour lâoccasion, lâassociation a pu modifier de lâintérieur les fichiers des jeux pour appliquer aux personnages masculins les attitudes initialement pensées pour leurs homologues féminins : déhanchés surjoués, danses sensuelles, poses suggestives, minauderies constantes et sexualisation exagérée.
« Certaines séquences étaient déjà bien connues des internautes, d’autres un peu moins. Mais présentées toutes ensemble elles permettent de prendre conscience de la généralisation du problème. Les choses bougent et il y aura des exceptions ; mais pour une Aloy dâHorizon ou une Ellie de The Last of Us, ce sont des dizaines et des dizaines de personnages féminins caricaturaux quâon rencontre encore trop souvent. Au même titre que le cinéma, la télévision ou la publicité, les jeux vidéo ont un impact sur la représentation que nous avons du monde et les interactions avec les autres », révèle Morgane Falaize, présidente de Women in Games France.
Un dispositif rendu au mains des joeur.se.s
Afin dâéveiller les consciences et créer une réelle conversation sur le sujet, #GenderSwap prend également vie sur Twitch. Hier, mardi 15 février, et aujourdâhui, mercredi 16, les streameurs.euses partenaires de lâopération ont pu jouer à plusieurs jeux modifiés par lâassociation, et ainsi les commenter avec leurs audiences. Une expérience à découvrir sur les chaînes Twitch de Morrigh4n, Kaosvmd, Red Fanny, Adyboo, Hiuugs, Modiiie, Nimelya ou encore Titavion. Les exemples recensés sont également disponibles sur le site de lâassociation et son serveur Discord, pour découvrir lâensemble des actions menées par Women in Games pour plus de mixité dans lâindustrie.
Créée en 2017, Women in Games sâest donné pour objectif de doubler le nombre de femmes et personnes non-binaires dans lâindustrie en 10 ans. Lâassociation mène des actions à travers 4 axes principaux : améliorer la visibilité des femmes de lâindustrie, sensibiliser les acteurs du secteur à lâintérêt de la mixité, soutenir le développement professionnel des femmes de lâindustrie et communiquer auprès des jeunes filles sur les métiers du jeu vidéo. Lâensemble de leurs ressources est disponible sur leur site â guide Diversité et Inclusion à destination des entreprises du jeu vidéo, Charte égalité hommes-femmes pour les écoles du jeu vidéo, Guide cyberharcèlement, articles sur le recrutement des femmes dans lâindustrie⦠â.
« Les choses commencent à évoluer, et les internautes font enfin entendre leurs voix. Des séquences sexistes ont été retirées de certains jeux à la suite de protestations du grand public. Mais le chemin reste encore long à parcourir, et câest seulement avec plus de femmes dans les studios quâon arrivera à une représentation plus pertinente, plus variée et moins stéréotypée des personnages féminins. Une équipe diversifiée bénéficie dâune plus grande richesse créative et crée des produits pour un plus large public ! », conclue Harmonie Freyburger, vice-présidente de Women in Games France.
source : www.influencia.net